[18 April 1732]
Je compte, mon cher Formont, que vous aurez incessamment quelques manuscrits de ma façon, puisqu'on vous a débarrassé du dépôt de mes folies imprimées. Je vous enverrai Eryphile de la nouvelle fournée, avec trois actes nouveaux, le tout accompagné d'une façon de compliment en vers, selon la méthode antique, lequel sera récité par Dufresne jeudi prochain. C'est ce jour là que le parterre jugera Eryphile en dernier ressort; mais je veux qu'auparavant elle soit jugée par vous et par m. de Cideville, les deux meilleurs magistrats de mon parlement. J'écrivis hier à notre cher Cideville, mais j'étais si pressé, que je ne lui mandai rien du tout. Vous aurez aujourd'hui la petite épigramme, assez naïve à mon sens, sur Néricault Destouches.
D'ailleurs il n'y a rien ici qui vaille en ouvrages nouveaux. Nous allons avoir cet été une comédie en prose du sieur Marivaux, sous le titre des Serments indiscrets. Vous croyez bien qu'il y aura beaucoup de métaphysique et peu de naturel, et que les cafés applaudiront pendant que les honnêtes gens n'entendront rien.
Vous savez que la petite Dufresne, in articulo mortis, a signé un beau billet conçu en ces termes: Je promets à dieu et à m. le curé de Saint-Sulpice de ne jamais remonter sur le théâtre. Tout le monde dit, oh! le beau billet qu'a la Châtre! Pour nous autres Fontaine-Martel, nous jouons la comédie assez régulièrement. Nous répétâmes hier la nouvelle Eryphile. Nous faisons quelquefois bonne chère, assez souvent mauvaise; mais soit qu'on meurt de faim ou qu'on se crève, on dit toujours, ah! si m. de Formont était là! Adieu, mon cher ami, personne ne vous aime plus tendrement que Voltaire.