1732-04-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Nicolas Formont.
Formont chez nous tant regretté,
Toi qui, parlant avec finesse,
Penses avec solidité,
Et sans languir dans la paresse,
Vis heureux dans l'oisiveté;
Dis nous un peu sans vanité
Des nouvelles de la sagesse
Et de sa sœur la volupté;
Car on sait bien qu'à ton côté
Ces deux filles vivent sans cesse,
L'une et l'autre est une maîtresse
Pour qui j'ai beaucoup de tendresse,
Mais dont Formont seul a tâté.

Je compte, mon cher Formont, que vous aurez incessamment quelques manuscrits de ma façon, puisqu'on vous a débarrassé du dépôt de mes folies imprimées. Je vous enverrai Eryphile de la nouvelle fournée, avec trois actes nouveaux, le tout accompagné d'une façon de compliment en vers, selon la méthode antique, lequel sera récité par Dufresne jeudi prochain. C'est ce jour là que le parterre jugera Eryphile en dernier ressort; mais je veux qu'auparavant elle soit jugée par vous et par m. de Cideville, les deux meilleurs magistrats de mon parlement. J'écrivis hier à notre cher Cideville, mais j'étais si pressé, que je ne lui mandai rien du tout. Vous aurez aujourd'hui la petite épigramme, assez naïve à mon sens, sur Néricault Destouches.

Néricault dans sa comédie,
Croit qu'il a peint le glorieux;
Pour moi je crois, quoi qu'il nous die,
Que sa préface le peint mieux.

D'ailleurs il n'y a rien ici qui vaille en ouvrages nouveaux. Nous allons avoir cet été une comédie en prose du sieur Marivaux, sous le titre des Serments indiscrets. Vous croyez bien qu'il y aura beaucoup de métaphysique et peu de naturel, et que les cafés applaudiront pendant que les honnêtes gens n'entendront rien.

Vous savez que la petite Dufresne, in articulo mortis, a signé un beau billet conçu en ces termes: Je promets à dieu et à m. le curé de Saint-Sulpice de ne jamais remonter sur le théâtre. Tout le monde dit, oh! le beau billet qu'a la Châtre! Pour nous autres Fontaine-Martel, nous jouons la comédie assez régulièrement. Nous répétâmes hier la nouvelle Eryphile. Nous faisons quelquefois bonne chère, assez souvent mauvaise; mais soit qu'on meurt de faim ou qu'on se crève, on dit toujours, ah! si m. de Formont était là! Adieu, mon cher ami, personne ne vous aime plus tendrement que Voltaire.