ce jeudy au soir [21 may 1733]
Vous avez vu sans doute, mon cher Cideville, l'honnêce et naïf hambourgeois que je vous ay adressé.
Le philosophe Formont part demain. Mon dieu pourquoy ne m'est il pas permis de le suivre? Caglia, caglia, senor Cideville. J'auray peutêtre huit ou dix jours de santé, et dieu sait si alors Rouen me verra, et si je viendray philosopher avec vous. Je ne vous mande aucune nouvelle. L'aimable Formont vous les dira touttes. Il vous parlera des spectacles qu'il a vus et des plaisirs qu'il a goûtez. Je voulois le voir aujourduy. Je ne suis sorti qu'un quart d'heure; et c'est précisément dans ce quart d'heure qu'il est venu. Il partira sans que je l'aye embrassé. Croiriez vous bien que je ne l'ay pas vu à mon aise pendant tout son séjour? Je ne crois pas avoir eu le temps de luy montrer plus d'un acte d'Adélaide. Ah quelle ville que Paris pour ne point voir les gens qu'on aime! Quand je seray à Rouen je jouiray de vous tous les jours, mais si vous étiez à Paris, nous nous rencontrerions peut être une fois par semaine tout au plus. Il ne faut point que nos amis viennent ici, il faut que nous allions les chercher. Jore est [?je croi] àprésent auprés de vous et a tous [. . .] lettres édifiantes. Je vous prie de lui recommander, secret, diligence, et exactitude, et surtout de ne laisser entre les mains d'une famille si exposée aux lettres de cachet, aucun vestige, aucun mot d'écriture ni de vous ny de moy. Qu'il vous rende exactement tous les manuscripts. Je vais luy envoier dans peu une édition de Charles douze corrigée et augmentée, avec les réponses au sieur de la Motraye.
Il aura aussi Eriphile, mais pour celle là, j'espère L'aporter moy même. Je passe ma vie à espérer comme vous voiez. L'abbé Linant me mande qu'il reviendra bientôt à Paris. Il m'a envoyé de baux vers alexandrins. Il a ingenium atque os magna sonaturum, mais avec ses talents je le crois paresseux; je le luy ay dit, je le luy écris, mais il faudra que je l'aime de tout mon oœur comme il est.
Si vous voiez. J. aiez la bonté je vous en prie de luy dire de m'envoier les épreuves par la poste sur tout celles où il est question de philosophie et de calcul. Il n'a qu'à les adresser à mr du Breuil, cloître st Mery, sans mettre mon nom, et sans écrire. Adieu. Je vous suis attaché hasta la muerte.