1733-03-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Formont est arrivé, sed sine te.
Il a vu Gustave Vasa, avant de me voir, je croi cependant qu'à la longue je luy donnerai plus de satisfaction. Je viens de faire partir par le coche de Rouen mon cher amy un petit paquet de toile cirée contenant deux exemplaires du temple du goust, ouvrage bien différent de la petite esquisse que je vous envoyai il y a quelques mois. Je ne vous écris que bien rarement mon cher Cideville, mais si vous saviez à quel point je suis malade, ce qu'il m'en coûte pour écrire, et combien les poètes tragiques sont paresseux, vous m'excuseriez. Je peux faire une scène de tragédie dans mon lit, parce que cela se fait sans se baisser sur une table, et sans que le corps y ait part, mais quand il faut mettre la main à la plume la seule posture que cela demande me fait mal. Je suis à présent dans l'état du monde le plus cruel, mais le plaisir d'être aimé de vous me console. Si vous voiez […] pas que je le permette, mais je le tolère. Adieu mon aimable Cideville. Si j'obéissois à mon cœur je vous écrirois des volumes, mais je suis l'esclave de mon corps, et je finis, pour soufrir, et pour enrager.

Mandez moy ce qu'est devenue la présidente de Berniere.

J'ay été si malade que je n'ay pu faire encor que quatre actes de ma nouvelle tragédie.