ce 6 may [1736] hôtel d'Orleans, rue d'Orleans
Mon cher amy je suis acablé d'affaires, de maladies, et de chagrins.
Je suis à Paris depuis douze jours comme dans un exil, et je m'en retourne bien vite. Où est notre philosophe Formont? Voicy une Alzire pour vous, et une pour luy. Je ne savois comment vous l'envoyer.
Vous n’êtes pas gens à qui on ne doive donner que ce qu'on donne au public. Je joins à ces Alzires une ode sur la quelle il faut que vous me donniez vos conseils.
Avez vous des procez mon cher amy? Hélas j'en ay à Paris, mais je vais vite faire tout ce que je pourai pour les perdre, et pour m'en retourner.
On m'a assuré que Jore a fait faire à Rouen une édition en trois volumes de mes ouvrages où les lettres philosophiques sont insérées. Cela est d'autant plus vraisemblable qu'il avoit à moy un tome de mes tragédies qu'il ne m'a jamais rendu quoyqu'il luy ait été payé. Il luy aura été facile de joindre en peu de temps deux tomes à ce premier. Ce Jore est devenu un scélérat depuis que votre présence ne le retient plus. Il finira par se faire pendre à Paris.
Je fais mettre mes Alzire au coche plutôt que d'avoir l'embaras d'une contresignature.
Mon cher amy cette lettre n'est qu'une lettre d'avis. Le cœur n'a pas ici un moment à soy. Les affaires entrainent, on ne vit point. Je vous embrasse avec la plus grande tendresse.
Vous voyez notre cher Formont sans doute. C'est comme si je luy écrivois. Il y a une Alzire dans le paquet pr mr Dubourteroude.
Adieu. Il est bien injuste que Rouen ne soit pas une rue de Paris.
V.