1737-01-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Monseigneur,

J'ay versé des larmes de joye en lisant la lettre du 9 novembre dont votre altesse royale a bien voulu m'honorer.
J'y reconois un prince qui certainement sera L'amour du genre humain. Je suis étonné de touttes manières. Vous pensez comme Trajan, vous écrivez comme Pline, et vous parlez français comme nos meilleurs écrivains. Quelle différence entre les hommes! Louis 14étoit un grand roy, je respecte sa mémoire, mais il ne pensoit pas si humainement que vous Monseigneur, et ne s'exprimoit pas de même. J'ay vu de ses lettres. Il ne savoit pas l'ortographe de sa langue. Berlin sera sous vos auspices l'Athenes de L'Allemagne, et poura l'être de L'Europe. Je suis icy dans une ville, où deux simples particuliers, où mr Boerhave d'un côté, et mr s'Gravesand de l'autre attirent quatre ou cinq cents étrangers. Un prince tel que vous doit en attirer bien davantage et je vous avoue que je me tiendrois bien malheureux si je mourois avant d'avoir vu L'exemple des princes et la merveille de l'Allemagne. Je ne veux point vous flater monseigneur, ce seroit un crime, ce seroit jetter un soufle empoisoné sur une fleur. J'en suis incapable. C'est mon cœur pénétré qui parle à votre altesse royale.

J'ay lu la logique de Monsieur Volf que vous avez daigné m'envoyer. J'ose dire qu'il est impossible qu'un homme qui a des idées si nettes, si bien ordonées, fasse jamais rien de mauvois. Je ne m'étonne plus qu'un tel prince aime n tel philosophe. Ils étoient faits l'un pour l'autre. Votre altesse R. qui lit ces ouvrages peut elle me demander Les miens? Le possesseur d'une mine de diamants me demande des grains de verre?

J'obéiray puisque c'est vous qui ordonnez.

J'ay trouvé en arrivant icy qu'on avoit commencé à Amsterdam une nouvelle édition de mes foibles ouvrages. J'auray l'honeur de vous en envoyer le premier exemplaire. En attendant j'auray la hardiesse d'envoyer à v. a. R. un manuscript que je n'oserois jamais montrer qu'à un esprit aussi dégagé des préjugez, aussi philosophe, aussi indulgent que vous l'êtes, et à un prince qui mérite parmy tant d'homages, celuy d'une confiance sans bornes.

Il faudra un peu de temps pour le revoir et pour le transcrire, et je le feray partir par la voye que vous m'indiquerez.

Je diray alors

parve, sed invideo, sine me liber, ibis ad illum.

Des occupations indispensables et des circomstances dont je ne suis pas le maitre, m'empêchent d'aller porter moy même à vos pieds ces hommages que je vous dois. Un temps viendra peutêtre où je seray plus heureux.

Il paroit que v. a. R. aime tous les genres de littérature. Un grand prince a soin de tous les ordres de l'état, un grand génie aime touttes les sortes d'étude. Je n'ay pu dans ma petite sphère que saluer de loin les limites de chaque science, un peu de métaphisique, un peu d'histoire, quelque peu de phisique, quelques vers ont partagé mon temps. Faible dans tous ces genres, je vous ofre au moins ce que j'ay. Si vous voulez monseigneur vous amuser de quelques vers, en attendant de la philosophie, carmina possumus donare.

J'aprends que le sr Tiriot a l'honeur de faire quelques commissions pour v. a. R. à Paris. J'espère monseigneur que vous en serez très content. Si vous aviez quelques ordres à donner pour Amsterdam, je serois bien flaté d'être votre Tiriot de Hollande.

Heureux qui peut vous servir, plus heureux qui peut aprocher de vous.

Si je ne m'intéressois pas au bonheur des hommes je serois fâché de vous voir destiné à être roy. Je vous voudrois particulier, je voudrois que mon âme pût aprocher en liberté de la vôtre. Mais il faut que mon goust cède au bien public.

Soufrez monseigneur qu'en vous je respecte encor plus l'homme que le prince. Soufrez que de touttes vos grandeurs, celle de votre âme ait mes premiers hommages. Soufrez que je vous dise encor combien vous me donnez d'admiration, et d'espérances.

Je suis avec un profond respect

de votre altesse royale

le.