1736-07-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy Le ministère a été si indigné de cette abominable intrigue de la cabale qui faisoit agir Jore, qu'on a forcé ce misérable de donner un désistement pur et simple, et à rendre cette lettre arrachée à ma bonne foy.
Cette mauditte lettre faisoit tout L'embaras, c’étoit une conviction que j’étois l'auteur des lettres philos. Rien n’étoit donc si dangereux que de gagner sa cause juridiquement contre Jore. Mais je vous avoue qu'au milieu des remerciments que je dois à L'autorité qui m'a si bien servi en cette occasion j'ay un petit remords comme citoyen d'avoir obligation au pouvoir arbitraire. Cependant il m'a fait tant de mal qu'il faut bien permettre qu'il me fasse du bien une fois en ma vie. Je retourne bientôt à Cirey. C'est là que mon cœur parlera au vôtre, et que je reprendray ma forme naturelle. L'accablement des affaires a tué mon esprit pendant mon séjour à Paris. J'ai eu à essuier des banqueroutes et des calomnies. Enfin je n'ay perdu que de L'argent, et je pars dans deux ou trois jours, trop heureux, et ne connaissant plus de malheur que L'absence de mes amis. Me de Berniere est elle à Rouen? notre philosophe Formont y est il? comment vont vos affaires domestiques mon cher ami? êtes vous aussi content que vous méritez de L’être? avez vous le repos et Le bien être? Adieu, je seray heureux si vous l’êtes.

V.