à Postdam 1er 8bre 1752
Je vous envoie hardiment l' appel au public de Koenig.
Vous lirez avec plaisir l'histoire du procédé. Cet ouvrage est parfaitement bien fait. L'innocence et la raison y sont victorieuses. Paris pensera comme l'Allemagne et la Hollande. Maupertuis est regardé ici comme un tyran absurde; mais j'ai peur que son abominable conduite n'ait des suites bien funestes. Il avait agi dans toute cette affaire en homme plus consommé dans l'intrigue que dans la géométrie. Il avait secrètement irrité le roi de Prusse contre Koenig, et s'était adroitement servi de son autorité pour faire chercher les originaux des lettres de Leibnitz dans un endroit où il savait bien qu'ils n'étaient pas. Il avait par cette indigne manœuvre mis le roi de moitié avec lui. Croiriez vous que le roi au lieu d'être indigné comme il le devait être d'avoir été compromis et trompé, prend avec chaleur le parti de ce tyran philosophe? Il ne veut pas seulement lire la réponse de Koenig; personne ne peut lui ouvrir les yeux qu'il veut fermer. Quand une fois la calomnie est entrée dans l'esprit d'un roi, elle est comme la goutte chez un prélat, elle n'en déloge point.
Au milieu de ces querelles Maupertuis est devenu tout à fait fou. Vous n'ignorez pas qu'il avait été enchaîné à Montpellier dans un de ses accès il y a une vingtaine d'années. Son mal lui a repris violemment. Il vient d'imprimer un livre où il prétend qu'on ne peut prouver l'existence de dieu que par une formule d'algèbre, que chacun peut prédire l'avenir en exaltant son âme, qu'il faut aller aux terres australes pour y disséquer des géants hauts de dix pieds, si on veut connaître la nature de l'entendement humain. Tout le livre est dans ce goût. Il l'a lu à des berlinoises qui le trouvent admirable.
Voilà pourtant l'homme qui s'était fait je ne sais quelle réputation pour avoir été à Torneo enlever deux suédoises. Ce malheureux avait été mon ami. Il était venu à Cirey passer quelques mois avec ce même Koenig et il nous persécute aujourd'hui l'un et l'autre avec fureur. C'est bien aujourd'hui qu'il le faudrait enchaîner. J'avais eu le malheur de l'aimer, et même de le louer, car j'ai toujours été dupe. Un des motifs de sa haine contre moi vient de ce qu'à ma réception à l'académie française, je ne le comparai pas à Platon, et le roi de Prusse à Denis de Syracuse. Il a eu la démence de s'en plaindre à Berlin. Quel Platon! quelle académie! quel siècle! et où suis je? Ah que m. le duc de Virtemberg finisse bientôt notre marché et que je revienne auprès de vous oublier les fous et les géomètres!