Potsdam, 4 novembre [1752]
En vérité, monsieur, je ne vous croyais pas suisse.
Un illustre théologien de Bâle écrit que mylord Bolingbroke a eu la ch…..& de là il tire la conséquence évidente que Moïse est l'auteur du pentateuque. On prétend que de bonnes lois & de bonnes troupes ne valent rien, si l'on n'a pas une foi vive pour les dogmes de Zwingle & de Calvin. Or, comme Titus, Marc Aurèle, Trajan, Nerva, Julien, &c. &c. &c. avaient le malheur de ne croire pas plus à Zwingle qu'au pape, & que cependant tout allait assez bien de leur temps, on a cru à Potsdam ne devoir pas être tout à fait de l'avis du révérend docteur suisse. Le chapelain de mylord Chesterfield a pris en bon chrétien la cause de mylord Bolingbroke, il l'a défendue dans une lettre pieuse & modeste. La traduction est parvenue ici avec la permission des supérieurs: le roi a beaucoup ri: faites en de même. Il paye bien les docteurs, & se moque des disputes théologiques, métaphysiques, phoronomiques& dynamiques. Soyez très tranquille. Vivez gaiement de l'évangile & de la philosophie, & laissez les profanes douter de la chronologie de Moyse & des monades. Tachez de conserver la vôtre; faites vous couvrir de poix-résine; essayez de vous mettre de grandes épingles dans le cul, suivant l'avis de l'auteur des nouvelles lettres. Tâtez des forces centrifuges, ou plutôt faites vous embaumer tout vivant, afin de n'attraper que dans sept ou huit cents ans ce point de maturité qui est la mort. Pour moi si je peux jamais rattraper ma jeunesse, je compte aller faire un tour aux terres australes avec Dalichamp, & disséquer des cervelles de géants hauts de douze pieds, & des hommes velus comme des ours, avec des queues de singe. Alors nous saurons des nouvelles positives de la nature de l'âme. J'exalterai la mienne pour vous prédire l'avenir; car vous savez qu'un peu d'exaltation fait voir le futur comme le passé. Je vous prédis donc que ceux qui tourneront les sottises de ce monde en raillerie seront toujours les plus heureux; & pour revenir du futur au passé, je vous jure que Démocrite avait raison & qu'Héraclite avait tort. Croyez moi, ne mettez aux choses que leur prix, & ne prenez point de grosses balances pour peser des toiles d'araignées. Il y a mille occasions où un vaudeville vaut mieux qu'une lamentation de Jérémie.
A propos de chanson, par quelle rage diabolique révoquez vous en doute la chanson de l'archevêque de Cambrai? Savez vous bien que vous êtes un impie d'armer l'incrédulité qui triomphe tant dans ce siècle pervers, contre une chanson d'un successeur des apôtres? Je vous dis devant dieu que le marquis de Fénélon me récita cette chanson à la Haye, en présence de sa femme & de l'abbé de la Ville. Eh morbleu! faites comme l'archevêque de Cambrai: détrompez vous de tout.
Adieu; je ne me porte pas mieux que vous; le moins malade ira voir l'autre.
V.