1753-02-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Johann Samuel König.

Je viens de lire la défense de votre appel.
Capulo tenus abludit ensem. Votre ennemi ne s'en relèvera jamais, il mourra avec son orgueil et ses artifices.

Bestemmiande fuggi l'alma sdegnosa
che al mondo fu si altiera ed orgogliosa.

Je vous ai déjà mandé que le grand prêtre des philosophes, Mr Wolff, avait solennellement excommunié Maupertuis, et vous avait béni sur tous les points. Tous les fidèles sans exception condamnent Maupertuis dans son procédé et dans ses théorèmes. C'est Lucifer que la superbe a précipité du ciel. Il est vrai qu'il a réussi à tromper le dieu de Potsdam. Il entend mieux l'intrigue que la philosophie. Algarotti disait de lui, qu'il mourrait en cabale. Il fait accroire aux dames de Berlin qu'il triomphe. Elles disent à la reine que c'est un grand homme, pendant que tous les philosophes de l'Europe sifflent ses ouvrages, et détestent sa conduite. Le malheur est qu'il commença par faire croire au roi que vous êtes un ignorant et un faussaire, que l'académie entière vous a condamné malgré lui, et qu'il a demandé votre grâce. Voilà pourquoi le roi de Prusse l'a pris pour un bon chrétien. Je voulais montrer votre appel à ce monarque, qui ne l'a jamais lu. Maupertuis lui avait déjà mandé que votre appel n'était qu'un tissu d'injures. Il avait déjà fait passer tous ceux, qui ont pris votre parti, pour des âmes basses, pour des faux, et pour des malhonnêtes gens et le Roi avait déjà imprimé sa brochure, que Maupertuis a envoyée partout, ornée des aigles prussiennes. Ainsi il a compromis le roi de toute façon, et il l'a trompé constamment, sans que la vérité ait pu approcher un moment de son trône. Il faut espérer que dans ce grand concert de l'Europe littéraire, qui se fait entendre en votre faveur, il y aura quelque note qui parviendra à l'oreille du Roi. Il l'a juste, et s'il apprend les tours atroces, que Maupertuis m'a joués pendant deux ans, tours non moins artificieux et non moins cruels, que ceux qu'il a fait aux Mairans, et à vous, il est à croire, que le roi se repentira d'avoir accablé de sa plume et de son sceptre, un homme qui n'a d'autre crime, que d'avoir pris votre défense et celle de la vérité, et quand il saura à quel point un tyran académique a abusé de son pouvoir, quand il saura qu'il n'y a point eu de jugement contre vous, que personne n'a signé, que personne n'a parlé, hors mr Sulzer, qui proteste contre la violence, quand dis je un roi qui a réformé la justice dans ses états, sera instruit de cette affreuse injustice, alors nous verrons, ce que Cesar mieux instruit, pensera de Cesar mal informé. Vale!

Voltaire