1733-05-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mille remerciements mon cher amy de vos attentions pour mon hambourgeois.
Il n'y a que ceux qui ont une fortune médiocre qui exercent bien l'hospitalité. Cet étranger doit être bien content de son voiage s'il vous a vu, et je vous avoue que je vous l'ay adressé afin qu'il pût dire du bien des Français à Hambourg. Je prie notre amy Formont de lui donner à souper. Il s'en ira charmé.

Ah qu'à cet honnête hambourgeois,
Candide et gauchement courtois
Je porte une secrette envie!
Que je voudrois passer ma vie
Comme il a passé quelques jours,
Ignoré dans un sûr azile
Entre Formont et Cideville,
C'est à dire avec mes amours.

Que fait cependant le jouflu abbé de Linant? J'avois adressé mon citadin de Hambourg chez la mère de notre abbé. Ce n'est pas que je regarde le bordel de la ville de Mantes comme une bonne hôtelerie. Il y a longtemps que j'ay dit peu chrétiennement ce que j'en pensois, mais je voulois qu'il fût mal logé, mal nourri et qu'il vît l'abbé Linant que je croi aussi candide que luy et qui luy auroit tenu bonne compagnie. Quant l'abbé voudra revenir à Paris, je luy loueray un trou près de chez moy, et il sera d'ailleurs le maitre de dîner et de souper tous les jours dans ma retraitte. Quand par hazard je n'y seray point, il trouvera d'honnêtes gens qui lui feront bonne chère en mon absence, mais qui ne luy parleront pas tant de vers que moy. J'ay d'ailleurs une espèce d'homme de lettres qui me lit Virgile et Horace tous les soirs sans trop les entendre, et qui me copie très mal mes vers. D'ailleurs bon garçon mais indigne de parler à l'abbé Linant. Je voudrois avoir un autre amanuensis, mais je n'ose pas renvoyer un homme qui lit du latin.

J'ai fait partir aujourduy par le coche à votre adresse un petit paquet, contenant Charles 12 revu, corrigé, et augmenté, avec les réponses à la Motraye. Vous y trouverez aussi la tragédie d'Eriphile que j'ay retravaillée avec beaucoup de soin. Le Charles 12 est pour [. . .] máis Eriphile n'est que pour vous. Lisez la, jugez la, et renvoiez la par le coche ou plutôt par l'abbé Linant.

Au lieu de m'envoier les épreuves sous le nom de Dubreuil il vaut mieux me les envoier sous le nom de Dumoulin, rue de Long Pont, près de la Greve. Je les recevray plutôt et plus sûrement.

Je vous demande en grâce que toutes les feuilles des lettres soient mises en dépost chez vous ou chez Formont et qu'aucun exemplaire ne paroisse dans le public que quand je croiray le temps favorable.

Il faudra que J. m'en fasse d'abord tenir 50 exemplaires.

A l'égard du Charles 12, il peut en tirer 750, et m'en donner 250 pour ma peine.

Il m'avoit promis de m'envoier la Henriade. Il n'y en a plus chez les libraires. Ayez la bonté je vous prie de luy mander qu'il la fasse partir sans délay.

Je vous demanderois bien pardon de tant d'importunitez si je ne vous aimois pas autant que je vous aime.

V.