27e 9bre 1771, à Ferney
Vraiment, mon héros, quand je vous envoiai le Bolingbroke par la poste de Toulouse, ce fut plutôt pour amuser le politique que pour instruire le philosophe; vous êtes tout instruit, cependant il n'est pas mal de répéter quelquefois son catéchisme pour s'affermir dans cette bonne doctrine qui fait jouir de la vie et mépriser la mort.
Un autre Anglais nommé Muller qui m'était venu voir à Ferney, et qui croit être par tout dans le parlement de Westminster, s'est avisé de dire depuis peu dans Rome qu'il s'était chargé de me raporter les oreilles du grand inquisiteur, dans un papier de musique. Le pape en aiant été informé, lui a dit, faittes bien mes compliments à Mr De V. mais dites lui que sa commission est infaisable. Le grand inquisiteur n'a plus d'yeux ni d'oreilles.
Moi qui n'avais point du tout chargé mon Anglais de cette mauvaise plaisanterie, j'ai été tout confondu du compliment de sa sainteté. J'ai pris la liberté de lui écrire que je lui croiais les meilleures oreilles et les meilleurs yeux du monde, un ingegno accorto, un cuore benevolo, et que je comptais sur sa bénédiction paternelle in articulo mortis.
A vue de païs vôtre cour de Paris ne sera pas longtems le parlement de Mr Muller. Voilà une grande révolution faitte en peu de mois. C'est une époque bien remarquable dans l'histoire des Welches.
Vous savez sans doute tous les détails de l'assassinat du Roi de Pologne. C'est bien là une autre affaire parlementaire. Je vous suplie de remarquer que voilà cinq têtes couronnées, cinq images de Dieu assassinées en très peu de tems dans ce siècle philosophique. On ne peut pas dire pourtant que les philosophes aient eu beaucoup de part à ces actions d'Aod et de Ravaillac.
Conservez moi vos bontés, Monseigneur; il faut que ceux qui ont encor la vigueur du bel âge aient pitié de ceux qui l'ont perdue.