à Lauzane 24 février 1758
Madame,
Je vois que Votre Altesse Sérénissime est d'une discrétion charmante avec nos seigneurs les houzards.
Je souhaitte qu'ils aient autant de circomspection avec les bleds, les moutons et les dindons de vos sujets. S'ils pouvaient vous voler madame un peu de vos grâces, un peu de la sagesse de votre esprit, de la bonté et de la bauté de votre âme, ils n'auraient plus rien à piller de leur vie. Mais Dieu vous délivre d'eux, et de leurs semblables, héros ou pillards, battants ou battus, qu'avez vous à faire madame de touttes ces querelles dans les quelles il n'y a qu'à perdre baucoup, et rien à gagner? pourquoy vient on troubler un si doux repos, et des vertus si respectables? Je crois que la maitresse des cœurs trouve tout ce fracas bien horrible; et prie dieu de tout son cœur pour la plus prompte des paix possibles.
J'oubliai madame dans ma dernière lettre aux houzards, de parler à votre Altesse sérénissime de Mr de Lugeac qui a eu le bonheur de vous faire sa cour et qui en est digne. C'est un homme qui a autant de douceurs dans les mœurs que de courage. Daignez me pardonner, quand on a l'honneur de vous écrire madame, il est bien difficile de penser à d'autres personnes. On nous a envoyé dans nos douces retraittes de prétendues relations de nouvaux massacres illustres, commis à Volfenbutel, à Helmstad, auprès de Breme, et de gens arquebusez ou pendus ou décolez à Breslau, et d'une violence commise à Zerbst, et de l'abbé de Prade martirizé. Je ne crois rien de tout cela. Les hommes font bien du mal; mais la renommée en dit cent fois davantage.
Il est vray madame que pendant qu'on s'égorge dans vos quartiers, nous jouons tout doucement la comédie à Lauzane. Il est vray que dans une heure nous allons jouer une pièce nouvelle intitulée Fanime, où il n'est question que D'amour. Je ne la destine point à Paris, je ne songe jamais qu'aux pays où je suis et à votre altesse se. Je voudrais bien que notre petit téâtre fût dans votre palais au lieu d'être à Lausane. Cela est plus doux que le téâtre de la guerre; c'est à madame la duchesse de Gotha qu'il faut plaire, c'est elle qui doit juger de nos petits talens. Je joue les rôles de vieux bon homme, mais le rôle le plus flatteur serait d'être aux pieds de votre altesse sérénissime. Je m'y mets de loin avec le plus profond respect.
V.