1758-03-09, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Tout est compensé dans ce monde, si l'on perd Monsieur du Côté des bleds, des moutons, et des dindons, l'on gagne de l'expérience, de la prudence et quelquefois même du Courage; il est vrai que l'expérience ne nourit point, que la prudence ne désaltère point, et que le courage ne chauffe et n'habille pas, cepandant come ces honêtes brigands ne peuvent pas tout emporter on rend grâce de ne point mourir de faim et l'on gagne assés pour suporter son infortune.
Je Vous assure qu'on trouve parmis les houzards mêmes des gens équitables et humains qui compatissent à nos malheurs et nous r'affermissent dans l'opinion soit fausse soit vraïe que tout est bien. Je le pense surtout maintenant que nous somes un peu délivrées de cette tumultueuse compagnie; je crois bien que notre calme ne durera pas, mais enfin l'on se refait en attendent et l'on jouit avec plaisir des momens tranquiles que la bone Providence accorde. Cela ne dis pas mon digne Ami que je ne préfère de grand coeur de lire Votre Fatime, que j'ai entendue louer et encencer come le chef d'oeuvre du génie et de l'esprit: de grâce Monsieur envoyés la moi pour dissiper les sombres idées d'un avenir funeste: Votre chère présence feroit bien plus encore, elle m'etroit le comble à ma satisfaction, mais je n'ose Vous proposer un voyage pareil crainte de Vous exposer dans ces tems critiques. Ce que Vous dite du Marquis de Lugeac est très juste, il est d'une société charmente, son esprit vif et enjoué est soutenu et embelis par un coeur bienfaisant et généreu. J'ai trouvé dans cette nation aimable des gens d'un très grand mérite que j'estime infiniment. Ils semblent s'éloigner de plus en plus de nos contrées: l'on assure dans toutes les gazettes que l'armée du Comte de Clermont se retire de la basse Saxe et que celle de Soubise fait mine d'entrer en Boheme ou du moins qu'elle y est destinée pour la Campagne prochaine. Je ne conois rien de tous ces massacres dont Vous me parlés: j'ignore même tout l'histoire tragique de l'Abbé de Prade, je sais bien que ce dernier est enfermé et disgracié du Roi de Prusse mais le motif est un mistère que je n'ai pus aprofondir jusqu'ici: dès que j'en saurois quelque chose je Vous l'aprendrai. Ce qui est sûr c'est que la Cour de Zerbst s'est réfugié à Hambourg et qu'avant d'en partir on y a arêté un françois que le Prince protégeoit. Prions Dieu Monsieur pour une promte paix, pour mettre fin aux gémissemens des peuples et à ses torents de sang qu'on fait couler impitoyeablement. La grande Maitresse toujour souffrante et toujour grande en tout et partout Vous aime et Vous admire avec constance: elle a gagnée bien des coeurs parmis tout ce monde que nous avons eus: elle nous a fait grand bien par son pillage moral, que Dieu la bénisse et Vous aussi, Votre esprit fait ma belle passion, je l'idolâtre: écrivés moi souvent, ne m'oublié pas et aimés moi un peu. Je n'en suis pas indigne par les sentimens que je Vous porte. Toute ma famille Vous estime et Vous chérit; enfin croyés moi, Vous ête le bien aimé ici et je suis d'inclination Votre amie et Votre servante

LD