1758-01-14, de Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha à Voltaire [François Marie Arouet].

Il y a du malheur dans notre comerce de lettre: ou je suis obsédés d'ocupations qui m'empêchent de Vous écrire, ou je ne reçois pas Vos lettres: celleà la qu'elle j'ai l'honeur de répondre est du 22 du mois de septembre de l'anée passée que je n'ai reçue qu'avant hier.
Depuis ce tems Monsieur les affaires Publiques ont bien changés de face; que d'événemens inouis n'avons-nous pas vus arriver depuis, que de torents de Sang et de larmes n'a t'ons pas vus couler! J'en suis toute ébaubie. Mon esprit et mon cœur se couvre du mantau d'Agamemnon. Le même home Monsieur qui cherchoit son salut sous un boulet de Canon étoufe presque sous les lauriers. Que d'instabilité, que de vanité! Je voudrois pourtant pour l'amour de la postérité que Vous puissiés ramasser touts ces faits pour écrire de Votre plûme cette merveileuse histoire. Jugés de notre situation, nous nous trouvons sans cesse entre l'enclume et le martau. Je Vous félicite Monsieur de voir les objets de loin. Je cause souvent de Vous pour me consoler: depuis quelques jours j'ai le plaisir de voir un très aimable mortel de Votre conoissance, c'est Mr: Le Marquis de Lugeac, qui conoit et admire à son aise toute l'étendue de Votre mérite: il Vous aime presque autant que je Vous chéris, il me prie de Vous le dire, je m'en aquite Monsieur avec empressement et j'ose y ajouter les assurences de mon estime, de ma tendre Amitié: le Duc en fait autant aussi bien que mes enfans, et la Buchwald, cette charmente maitresse des coeurs, Vous saute avec transport au cou pour Vous manger de tendresse, je fais tous les efforts imaginables pour Vous sauver et pour Vous conserver.

LD