Aux Délices attristées 4 juin [1755]
Mon divine ange, nos cinq actes, notre Idamé, notre Gengis iront bien mal tant que je seray dans les angoisses de la crainte qu'on n'imprime ce malheureux vieux rogaton si défiguré, si imparfait, si tronqué, si désespérant.
Je voudrais du moins que vous en eussiez exemplaire au net, bien complet, bien corrigé, bien guai, puisqu'il fut autrefois si guai, bien honnête, ou moins malhonête. Je voudrais que mr de Tibouville l'eût de cette façon. Je voudrais vous l'envoier soit par monsieur Chauvelin, soit par quelque autre voie, telle qu'il vous plairait. Il me semble que la seule ressource est de faire un peu connaître la véritable copie pour étouffer l'autre. Encor une fois de deux maux, il faut éviter le pire; et le plus grand des maux est la crainte. Non il y en a un encor plus grand; c'est de voir mes amis offensez par des rapsodies qui courent sous mon nom. Votre dernière lettre à madame Denis et touttes celles que nous recevons nous confirment le danger. Je suis réduit à souhaitter que cette plaisanterie de trente années soit connue, toutte opposée qu'elle est aujourduy à mon âge et à ma situation; elle n'est guères que plaisanterie, et quand on rit on ne trouve rien mauvais. Adieu mon divin ange, je suis entre l'enclume et le martau, entre la Chine et Grisbourdon, et je me mets en tremblant sous les ailes de mes anges
V.