ce 23 mai [1755] des Délices par Genève
Mon oncle étant trop malade monseigneur pour avoir l'honneur de vous écrire je vous supplie en son nom et au mien de vouloir bien employer vos bontés pour nous, votre autorité et votre équité, pour prévenir une chose très désagréable sur laquelle je vous ai confié mes craintes depuis si longtemps.
On fait courir dans Paris des morceaux très informes de ce poème intitulé la Pucelle, fait il y a plus de vingt années. Comme ces fragments sont imparfaits chacun se donne la liberté de remplir les lacunes à sa fantaisie. On m'en a envoyé des morceaux dont la licence n'est pas tolérable. Cela est fait par des gens qui ont aussi peu de décence que de goût.
Des libraires cherchent dit on à imprimer ces rapsodies. Un ordre de votre part monseigneur pourrait prévenir ce scandale.
Nous vous supplions, mon oncle et moi, avec la plus vive instance, de rendre ce service aux belles lettres et au bon goût dont vous êtes le protecteur. Ce sera une nouvelle obligation que nous vous aurons. Il serait cruel que mon oncle, à son âge, accablé de maladies dans sa retraite, eût l'affliction de voir paraître sous son nom un ouvrage qui n'a jamais été fait pour être imprimé et qu'on a rendu si indigne de lui.
Il paie bien cher sa réputation par l'avidité de ceux qui se servent si souvent de son nom pour tromper le public. Mais que ne fait on pas pour de l'argent et pour nuire aux talents qui excitent l'envie?
La mienne serait de vous plaire et de vous convaincre du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
monseigneur
votre très humble et très obéissante servante.
Denis