[c. 28 March 1768]
Monseigneur,
Convaincu de vos bontés, j'ose implorer vôtre justice.
Un mot de vous au bureau des affaires étrangères peut me la faire rendre. Le gazetier d'Utrecht dans un article du 18 mars m'accuse d'avoir pris à mr de Voltaire et répandu dans le public le Catechumène, qui n'est pas de mr de Voltaire, l'homme aux 40 écus, le Sermon prêché à Bâle, et la lettre de l'archevêque de Cantorbery. Je suis trop sûr de mon innocence, et vous êtes trop aportée de savoir la vérité de mr de Voltaire lui même, pour que j'insiste sur les preuves. Il m'a su mauvais gré en effet d'avoir donné à plusieurs de ses amis le second chant de la guerre de Genève, qu'il voulait corriger. Mais cette légère indiscrétion n'a point du tout altéré son amitié pour moi. Il est sûrement aussi indigné que moi même de l'article calomnieux du gazetier d'Utrecht. Les citoyens sont sous la protection du gouvernement, sous la vôtre, monseigneur, et un particulier de Hollande n'a pas le droit de les diffamer publiquement. Vous mettriés le comble à vos bontés, si vous daigniés interposer vôtre autorité pour que l'on oblige le gazetier à se rétracter et à convenir qu'on lui a envoyé de Paris de fausses nouvelles.
Pardonnés, monseigneur, si j'ose vous occuper de ces misères qui ne sont intéressantes que pour moi. Mais la réputation d'un homme que vous daignés honorer de vôtre protection doit être à l'abri de ces attaques injurieuses, et l'exemple d'une pareille licence est contagieux, si elle n'est réprimée par l'autorité.
Je suis avec un profond respect,
Monseigneur,
Vôtre trés humble et trés obéissant serviteur
Delaharpe