1768-03-25, de Jean François de La Harpe à L'Avant-coureur.

Monsieur, Je n'ai eu connaissance qu'aujourd'hui d'un article inséré dans la gazette d'Utrecht, au sujet de mon départ de Ferney; article qui n'est composé que d'injures & de faussetés.
Le correspondant du gazetier, auteur de ce morceau, commence par dire que je n'ai jamais su me concilier l'amitié de personne. Il paraît du moins que je n'ai pas la sienne. Il prétend que j'ai été recueilli & congédié par m. de Voltaire. Quand cela serait vrai, je ne vois pas trop pourquoi on en ferait un article de gazette. Mais l'un & l'autre est faux. Il ajoute que je perds six mille livres de rentes que m. de Voltaire m'avait assurées après sa mort. Cet homme apparemment a lu le testament de m. de Voltaire. Comme je n'en sais pas autant que lui, je n'ai rien à répondre là dessus. Il finit par insinuer, sans rien affirmer pourtant, que c'est moi qui ai répandu dans le public et pris à m. de Voltaire, le Cathécumene, l'Homme aux 40 écus, le Sermon prêché à Basle, & la Lettre de l'archevêque de Cantorbéry. Je doute que m. de Voltaire trouve bon qu'on lui attribue ainsi publiquement le Cathécumene, qui n'est point de lui, & d'autres ouvrages anonymes, qu'il n'est permis d'attribuer à personne, à moins d'avoir des preuves. Quant à ce qui me regarde, tout ce qui a le moindre commerce avec la littérature, sait à quel point l'imputation du gazetier, au sujet des ouvrages ci-dessus, est fausse & calomnieuse. Ce serait lui donner plus d'importance qu'elle n'en mérite, que d'y répondre par des témoignages authentiques qui sûrement ne manqueraient pas. Je satisfais suffisamment à ce que je me dois à moi même, en opposant la vérité au mensonge.

Je dois ajouter aussi, quoiqu'il en doive coûter au bonheur de certaines gens, que je ne suis point brouillé avec m. de Voltaire, & que ce grand homme n'a rien diminué de son amitié pour moi, qui m'est aussi chère qu'honorable.

Je vous supplie, monsieur, de rendre cette lettre publique.

J'ai l'honneur d'être, &c.