18 mars 1768
Mon cher ami, en attendant que je reçoive une lettre de vous, en voici une pour m. Delaharpe; je vous prie de la lire, de la cacheter et de l'envoyer par la petite poste.
Vous verrez dans cette lettre quels sont mes sentiments; c'est à vous de lire dans mon cœur puisque vous y êtes.
Vous avez sans doute vu made Denis. Je suis dans l'affliction, mon ami, mais il faut s'en rendre le maître. Un de mes chagrins est l'archarnement de certaines gens à m'attribuer tout ce qui paraît. Je travaille depuis six mois à l'édition nouvelle du Siècle de Louis 14 et le gros Cramer m'abandonne pour aller jouer la comédie à Lauzanne. Pendant qu'il se réjouit on m'impute toutes les sottises que Marc Michel Rey imprime en Hollande, et on met dans les gazettes que je me suis brouillé avec toute ma famille. Voilà les fruits de la cruelle indiscrétion de la Harpe. Il faut avaler tout cela et j'avale.
Embrassez pour moi le vrai philosophe d'Alembert. Il n'y a pas moyen que je lui écrive aujourd'hui; je suis excédé. Quoi qu'il en puisse être, votre amitié, la sienne et celle de me Denis me consolent.