11 avril 1768
Mon cher ami, je n'ai rien de caché pour vous, vous verrez par ma lettre à m. d'Alembert tout le fond de l'affaire.
Laharpe a péché par étourderie, par ignorance de toutes les bienséances, par un orgueil insupportable: mais j'en reviens toujours à dire qu'il ne faut pas le perdre, qu'il a des talents, qu'il peut se corriger, qu'il est jeune, pauvre et marié, et m'a fait bien du mal sans le savoir.
Il avait persuadé madame Denis de son innocence. Elle me sut un très mauvais gré de lui faire perdre dans madame Delaharpe une complaisante qui pouvait l'amuser pendant l'hiver. C'est à ce sujet que madame Denis m'a traité bien cruellement; mais puisque je pardonne à Laharpe vous croyez bien que je pardonne à madame Denis. Je n'ai d'autre intention, d'autre soin que de la rendre heureuse pendant le peu de temps qui me reste à vivre et après ma mort. Je ne suis point du tout à mon aise dans le moment présent, il s'en faut beaucoup; mais tout s'arrangera et certainement madame Denis ne souffrira pas un seul moment du petit embarras que j'éprouve. Ma vie est si différente de la sienne qu'il faut absolument qu'elle soit à Paris, où elle a beaucoup d'amis et de parents et moi il faut que je meure dans la solitude.
Je vous prie mon cher ami de détromper m. Chardon de l'erreur où il est en supposant que le Cathécumène est de moi. Vous savez bien certainement qu'il n'en est pas, non plus que tant d'autres ouvrages que la calomnie m'impute. Il est bien cruel que n'étant occupé que du Siècle de Louis 14 qui est immense, on m'attribue des pauvretés que je n'ai pas même lues. Vous verrez par une déclaration de Laharpe insérée dans l'avant coureur du lundi 4 avril combien je suis intéressé à tenir la conduite que je tiens.
Adieu mon très cher ami; soyez bien sûr que ma philosophie est digne de la vôtre; mais mandez moi donc ce que vous devenez et ce que l'on fait pour vous.