1731-06-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Le Mercure de France.

Je n'ai jamais jusqu’à présent répondu, monsieur, à aucune des brochures que l'on a imprimées contre moi, ou qui ont été insérées dans les journaux. J'ai toujours cru que si les critiques étaient mauvaises, le public en ferait justice sans moi, et que si elles étaient bonnes je ne devais y répondre qu'en corrigeant mes fautes.

D'ailleurs je n'ai jamais pu prendre sur moi, de défendre des ouvrages que je n'ai jamais donnés qu'avec beaucoup de défiance, et que je voudrais n'avoir jamais hasardés dans le public. Je suis forcé aujourd'hui contre mon inclination de vous prier de vouloir bien faire insérer dans le Mercure cette réponse à mrs les auteurs du Nouveliste du Parnasse et que j'ai l'honneur de vous envoyer.

Je sais combien peu il importe au public de savoir si j'ai fait ou non une brochure satirique contre mr Capistron. Mais j'ai cru devoir détromper ceux qui lisent les nouvelles littéraires, j'ai cru devoir à mon honneur, et à la vérité, d'imposer du moins une fois en ma vie, un silence forcé à la calomnie. Ce n'est pas d'aujourd'hui que la seule récompense de ceux qui cultivent les beaux arts, est d’être accusés d'ouvrages indignes d'eux. On m'a souvent attribué des pièces soit médiocres, soit absolument mauvaises, telles, que je ne sais jamais quelle satire intitulée Jay vu, une misérable ode où l'on attaquait indignement un ministre respectable. Je connais les auteurs de ces lâches ouvrages. Je ne leur fais point la confusion de les nommer, il me suffit de défier la calomnie d'oser avancer que j'aie jamais ou fait, ou montré, ou approuvé un seul ouvrage satirique. C'est une déclaration authentique que je fais dans cette lettre aux auteurs du Nouveliste, et j'espère fermer la bouche pour jamais à ceux qui m'imputent ces sottises, de même que j'invite les sages et vrais critiques à continuer d’éclairer les beaux arts par leurs réflexions. Je m’élève contre le calomniateur, mais j'encourage tous mes censeurs, et je me flatte d'avoir donné moi même dans ce petit écrit l'exemple d'une critique pleine au moins de bienséance, si elle ne l'est pas de raison.

Je me flatte, monsieur, que vous la ferez paraître dans le mercure d'autant plus volontiers que vous n'y avez jamais inséré aucune satire et que vous avez trouvé le secret de plaire à tout le monde, sans offenser personne. Le mercure, regardé autrefois comme un ouvrage frivole et méprisable est devenu entre vos mains un livre choisi, plein de monuments curieux et nécessaires à quiconque veut savoir dans son siècle l'histoire de l'esprit humain. La lettre que je vous envoie ne mérite d'y avoir place qu'autant qu'elle est pleine de cet esprit de vérité que vous aimez. Je suis &c.