au château de Ferney 22e 7bre 1766
Je suis très éloigné de penser, Monsieur, que vous aiez la moindre part à l'édition de mes prétendues Lettres, données au public par un faussaire calomniateur, qui pour gagner quelque argent falsifie ce que j'ai écrit, et m'expose au juste ressentiment des personnes les plus respectables du roiaume, en substituant des satires infâmes aux éloges que je leur avais donnés.
Les notes dont on a chargé ces Lettres sont encor plus diffamatoires que le texte. Vous y êtes loué, et il est triste de l'être dans un tel recueil. L'éditeur sçait en sa conscience qu'aucune de ces Lettres n'a été écrite comme il les a imprimées. Si par hazard vous le connaissiez, il serait digne de vôtre probité de lui remontrer son crime, et de l'engager à se rétracter. On fait de la littérature un bien indigne usage. Imprimer ainsi les lettres d'autrui c'est être à la fois voleur et faussaire.
Comme ces Lettres courent l'Europe, je serai forcé de me justifier. Je n'ai jamais répondu aux critiques, mais j'ai toujours confondu la calomnie. Vous m'avez toujours prévenu par des témoignages d'estime et d'amitié, j'y ai répondu avec les mêmes sentiments. Je ne demande icy que ce que l'humanité éxige. Vôtre mérite vous fait un devoir de venger l'honneur des belles Lettres.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec les sentiments que j'ai toujours eux pour vous, vôtre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire