1766-09-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à G. L. Deodati de Tovazzi.

Vous souviendriez vous, Monsieur, qu'à l'occasion de vôtre dissertation sur la langue Italienne j'eus l'honneur de recevoir quelques Letres de vous et de vous répondre?
On vient d'imprimer une de mes Lettres à Amsterdam sous le nom de Genêve dans un recueil de deux cent pages.

Ce recueil contient plusieurs de mes Lettres prèsque toutes entièrement falsifiées. Celle que je vous adressai de Ferney le 24e janvier 1761 est défigurée d'une manière plus maligne et plus scandaleuse que les autres. On y outrage indignement un général d'armée ministre d'Etat, dont le mérite est égal à la naissance. Il est ce me semble de vôtre intérêt, Monsieur, du mien, et de celui de la vérité, de confondre une si horrible calomnie. Voicy comme je m'expliquais avec vous sur la valeur de ce général.

'Nous exprimerions encor différemment l'intrépidité tranquile que les connaisseurs admirèrent dans le petit neveu du héros de la Valteline etca'.

Voicy comme l'éditeur a falsifié ce passage.

'Nous exprimerions encore différemment l'intrépidité tranquile que quelques prétendus connaisseurs admirèrent dans le plus petit neveu du héros de la Valteline, lors qu'aiant vu son armée en déroute par la terreur panique de nos alliés à Rosbach, qui causa pourtant la nôtre; ce petit neveu aiant aperçu etca'.

Cet article aussi insolent que calomnieux finit par cette phrase non moins falsifiée 'Il eut encore le courage de soutenir tout seul les reproches amers et intarissables d'une multitude toujours trop tôt et trop bien instruite du mal et du bien.'

Une telle falsification n'est pas la négligence d'un éditeur qui se trompe, mais le crime d'un faussaire qui veut à la fois décrier un homme respectable et me nuire. Il vous nuit à vous même en suposant que vous êtes le confident de ces infamies. Vous ne refuserez pas sans doute de rendre gloire à la vérité. Je crois nécessaire que vous preniez la peine de me certifier que ce morceau de ma Lettre depuis ces mots, nous exprimerions, jusqu'à ceux cy, du mal et du bien, n'est point dans la Lettre que je vous écrivis, qu'il y est absolument contraire, et falsifié de la manière la plus lâche et la plus odieuse. Je recevrai avec une extrème reconnaissance cette justice que vous me devez et le prince qui est intéressé à cette calomnie sera instruit de l'honnêteté et de la sagesse de vôtre conduite dont vous avez déjà donné des preuves.

Recevez celle de mon estime et de tous les sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Mr.