1775-04-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

J'ai reçu aujourd'hui, par les bontés de votre majesté, le portrait d'un très grand homme; je vais mettre au bas deux vers de lui, en n'y changeant qu'un mot:

Imitateur heureux d'Alexandre et d'Alcide,
Il aimait mieux pourtant les vertus d'Aristide.

J'avoue que le peintre vous a moins donné la figure d'Aristide que celle d'Hercule. Il n'y a point de velche qui ne tremble en voyant ce portrait là; c'est précisément ce que je voulais.

Tout velche qui vous examine,
De terreur panique est atteint;
Et chacun dit à votre mine
Que dans Rosbach on vous a peint.

Ce qui me plaît davantage, c'est que vous avez l'air de la santé la plus brillante.

Nous nous jetons Morival et moi aux pieds de ce héros. Le dessein de ce jeune homme est de ne point s'avilir jusqu'à demander une grâce dont il n'aura certainement pas besoin aux yeux de l'Europe; il veut et il doit se borner à faire voir la turpitude et l'horreur des jugements velches. Cette affaire est plus abominable encore que celle des Calas; car les juges des Calas n'avaient été que trompés, et ceux du chevalier de la Barre ont été des monstres sanguinaires de gaieté de cœur.

Je m'en rapporte à votre jugement, sire, et j'attends votre décision, qui réglera notre conduite. Nos lois sont atroces et ridicules, mais Morival ne connaît que les vôtres. Il se soucie fort peu de la petite part qui lui reviendrait dans le partage avec sa famille; il ne veut plus connaître d'autre famille que son régiment, et n'aura jamais d'autre roi et d'autre maître que vous.

J'ai été quelque temps ans écrire à votre majesté. Il a régné dans nos cantons une maladie épidémique affreuse, dont ma nièce a pensé mourir, et dont je suis encore attaqué.

Vivez longtemps, sire, non pas pour votre gloire, car vous n'avez plus rien à y faire, mais pour le bonheur de vos états. Conservez moi des bontés qui me consolent de toutes mes misères.