1760-04-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Puisque Vous êtes si grand maitre
Dans L'art des Vers & des Combats,
Et que Vous aimés tant à L'être,
Rimés donc, bravés le trépas:
Instruisés, ravagés la terre,
J'aime les vers, je hais la guerre;
Mais je ne m'opposerai pas
A votre fureur militaire.
Chaque esprit a son caractère:
Je conçois qu'on a du plaisir
A savoir comme Vous, saisir
L'art de tuer, & L'art de plaire.

Cependant ressouvenés Vous de celui qui a dit autrefois,

Et quoiqu'admirateur d'Alexandre & d'Alcide,
J'eusse aimé mieux choisir les vertus d'Aristide.

Cet Aristide était un bon homme: il n'eût point proposé de faire payer à L'archev: de Mayence les dépens & domages de quelque pauvre ville grecque ruinée. Il est clair que V. M. a encouru les Censures de Rome en imaginant si plaisemment de faire payer à L'Eglise les pots que Vous avés cassés. Pour Vous relever de L'excomunication majeure, je vous ai conseillé en bon citoyen, de payer vs-même. Je me suis souvenu que V. M. m'avait dit souvent que les peuples de***étaient des sots. En vérité, sire, Vous êtes bien bon de vouloir régner sur ces gens-là. Je crois Vs proposer un très bon marché en Vous priant de les donner à qui voudra.

Je m'imaginais qu'un grand homme,
Qui bat le monde & qui s'en rit,
N'aimait à dominer que sur des Gens d'Esprit,
Et je voudrais le voir à Rome.

Comme je suis très fâché de payer 3 vingtièmes de mon bien & de me ruiner pour avoir L'honneur de Vous faire la guerre, vous croirés peut être que c'est par Ladrerie que je Vous propose la paix: point du tout; c'est uniquement afin que Vous ne risquiés pas tous les jours de Vous faire tuer par des Croates, des houzards & autres barbares qui ne savent pas ce que c'est qu'un beau vers.

Vos ministres auront sans doute à Bréda de plus belles vues que les miennes. M. le D. de Choiseul, M. de Kaunitz, M. Pitt ne me disent point leur secrêt. On dit qu'il n'est connu que d'un M. de Saint-Germain qui a soupé autrefois dans la ville de Trente avec les pères du concile, & qui aura probablement L'honneur de voir Votre Majesté dans une cinquantaine d'années. C'est un homme qui ne meurt point, & qui sait tout. Pour moi qui suis près de finir ma carrière & qui ne sais rien, je me borne à souhaiter que Vous connaissiés M. le duc de Choiseul.

Votre Majesté m'écrit qu'Elle va se mettre à être un vaurien: voilà une belle nouvelle qu'Elle m'apprend-là! Et qui êtes-Vous donc, Vous autres Maitres de la terre? Je Vous ai vu aimer beaucoup ces vauriens de Trajan, de Marc-Aurèle & de Julien; ressemblés-leur toujours; mais ne me brouillés pas avec M. le D. de Choiseul dans vos goguettes.

Et sur ce je présente à V. M. mon respect & prie honêtement la divinité, qu'elle donne la paix à ses images.