aux Délices 12 avril 1760
Mon divin ange je suis bien faible, je vieillis baucoup; mais il faut aimer le tripot jusqu'au dernier moment.
Voicy une pièce de Jodele ajustée par un petit Hurtaud que je vous envoye; mais vous comprenez bien que je ne vous l'envoye pas, et que jamais on ne doit savoir que vous vous êtes mèlé de favorizer ce petit Hurtaud. Je pense que cela vaut mieux que de donner ces chevaliers qui malheureusement passent pour être de moy. Le plaisir du secret, de l'incognito, de la surprise est quelque chose. Vous savez ce que c'était que le droit du seigneur. Je ne l'ay pas dans mes terres, et il ne me servirait à rien. Il me parait que ce petit Hurtaud a traitté la chose avec décence. J'ay seulement remarqué dans la pièce le mot de sacrement. J'ignore si ce mot divin peut passer dans une comédie sans encourir l'excomunication majeure. Je ne suis pas assez hardy pour corriger les vers d'Hurtaud, mais on peut bien mettre votre engagement au lieu de votre sacrement; c'est je crois au premier acte autant qu'il peut m'en souvenir.
Mettrez vous M. le duc de Ch. dans la confidence? Je le crois àprésent plus occupé des Anglais que de ce qui se passait sous Henri second?
Mon cher ange nous parlerons une autre fois des chevaliers. Je crois que M. votre frère a raison de ne pas trop aimer Medine ou Fanime. Mais comment va la santé de madame Scaliger? Voylà le point essentiel.
Mon divin ange, vous êtes pour moy le démon de Socrate, mais son démon se bornait à le retenir, et vous m'inspirez.
V.