1760-03-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon divin ange le vent du nord me tüe.
Je n'ay pas pensé au tripot depuis que ce maudit vent soufle dans ma vallée.

J'apprends que Spartacus n'est pas dé maléfaciatis mais qu'il est de frigidis. Je m'en suis douté, un gladiateur ne saurait être tendre, et j'ay peur que l'esprit de Saurin ne tienne un peu de la trempe du Gladiateur.

Envoyez moy donc, m'allez vous dire, la tendre Amenaide et la passionée Fanime. Ouy sans doute; elles partiront dans huit jours. Vous n'avez qu'à dire l'adresse, et vous serez obéi sur le champ; j'opine pour Aménaide et la chevalerie. Cela est tout neuf, cela ne ressemble à rien et la Fanime ressemble à tout. Elle a les yeux d'Ariane, le nez de Didon, le menton de Roxane, elle n'a malheureusement pas d'Acomat; et le beau garçon qui fait l'amoureux est fort au dessous de Bajazet. Donnons toutte la préférence aux chevaliers qui paraissent pour la première fois avec leurs boucliers et leur haubert, et aux rimes croizées et à la pompe du spectacle. Mais surtout ne nous pressons pas je vous en conjure. Je ne peux pas m'imaginer que le public aille aux spectacles avec un esprit bénévole quand on est sans vaissaux et sans vaisselle et qu'on ne peut faire ny la guerre ny la paix. Je suis bien las d'ailleurs des fréronades; et il est triste à mon âge d'être toujours dans le public comme le faquin de l'académie de Dugast au quel on tire. Les amusements innocents de ma retraitte et de ma vieillesse n'ont pu me mettre à l'abri des coups de ce malheureux fréron. Il faut avoüer que ce rôle est insuportable, et qu'il est bien avilissant.

Mon autre persécuteur mr l'abbé d'Espagnac est plus poli, aussi luy ai-je envoyé respectueusement un nouveau mémoire qui sera le dernier, après quoy je tendrai le cou. J'ay peur d'être dégoûté de mes terres en France comme de tragédies. On m'a saisi mon pain sous prétexte d'un manque de formalité au bureau de la frontière. Je m'en suis plaint à mr le duc de Choiseuil et je luy ay dit combien il était dur de ne pouvoir manger son pain que les Grecs appellent ton arton.

Pour Luc je n'entends pas mon cher ange ce que vous imaginez quand vous me dites que je serai trop vangé. Il a près de cent mille hommes, le prince Ferdinand aura une armée formidable et qui pis est il y aura une quinzaine de mille d'Anglais dans cette armée. Je fais beaucoup de vœux et j'ay peu d'espérance.

A l'égard des lettres de Luc à moy qu'on a imprimées je ne les ay point vues, mais j'ay les minutes de touttes ces lettres que je luy renvoiais corrigées, et qu'un Bonneville luy a dit on volées. J'ay mis la main à tout ce qu'on a imprimé de Luc. Il a été un peu ingrat. Mr de Choiseuil ne vous a t'il rien confié touchant cette comique majesté? ne savez vous rien? Dites moy donc quelque chose.

Comment se porte made Scaliger? Mille tendres respects.

V.