à Ferney 27 octb [1760]
Je vous dis et redis mon vieil ami qu'il me faut les fréronades où il est question de Tancrede.
Il y a une bonne âme qui se charge d'en faire un assez plaisant usage.
Avez vous des Pierre? avez vous donné un Pierre à Protagoras? que faittes vous chez votre médecin? quid novi de littératis et maléfaciatis?
Que dites vous de Clairon qui voulait un échafaut sur le téâtre! Mon ami, il faut battre les Anglais et ne pas imiter leur barbare scène. Qu'on étudie leur philosophie, qu'on foule aux pieds comme eux les infâmes préjugez, qu'on chasse les jésuittes et les loups, qu'on ne combatte sottement ny l'attraction ny l'inoculation, qu'on apprenne d'eux à cultiver la terre, mais qu'on se garde bien d'imiter leur téâtre sauvage.
Vous verrez bientôt à ce que j'espère Tancrede dans son cadre. Mr et me Dargental m'ont bien servi, ils m'ont fait corriger bien des fautes. Voylà de vrais amis. Les comédiens m'ont tailladé assez mal à propos: mais tout sera réparé à la reprise. Voiez cette reprise. Je suis le plus trompé du monde ou Tancrede doit faire pleurer touttes les petites filles à chaudes larmes.
J'ay bien peur que l'état de M. le duc de Bourgogne ne soit fatal aux spectacles. Le Roy perd bien des enfans. Il soutient de rudes épreuves de touttes façons. On ne le plaint point assez, et quoy qu'on l'aime, on ne L'aime point assez, Allez, allez, mrs les parisiens, dieu vous le conserve, et made de Pompadour. Elle n'a fait que du bien et vous n'ètes que des ingrats.
Vale amice.
V.