au châtau de Ferney 26 janvier 1761

Et ces yeux, ces yeux que vous fermez quand vous êtes content, se portent ils mieux mon cher ange?

J'ay un besoin très grand d'être fortement recommandé à m^r de Villeneuve. Est il possible que je n'aye besoin de personne dans le pays étranger, et que j'aye besoin d'un intendant en France avec mes terres libres? Je ferai une belle requête pour m^r le duc de Choiseuil mais je luy ay tant demandé de choses pour les autres que je n'ose plus luy rien demander pour moy.

J'ay de terribles affaires sur les bras. Je chasse les jésuittes d'un domaine usurpé par eux. Je poursuis criminellement un curé. Je convertis une huguenotte, et ma besogne la plus difficile est d'enseigner la grammaire à m^elle Corneille qui n'a aucune disposition pour cette sublime science.

Est il vrai m^r et m^e anges tutélaires, est il vrai qu'on joue Tancrede? Est il vrai qu'on joue aux italiens une parade intitulée le comte de Boursoufle sous mon nom? Justice, justice. Puissances célestes, empéchez cette profanation, ne soufrez pas qu'un nom que vous avez toujours daigné aimer soit prostitué dans un affiche de la comédie italienne. J'imagine qu'il est aisé de leur deffendre d'imputer dans les carrefours de Paris à un pauvre auteur une pièce dont il n'est pas coupable?

J'estime mes anges qu'il faut retrancher le Franc de ce panteodosà m^elle Clairon. Nous le retrouverons bien une autre fois. Il ne faut pas souiller par une satire les louanges de Melpomene. En ôtant le Franc tout va, tout se lie.

Et le roman de Jean Jaques! A mon gré il est sot, bourgeois, impudent, ennuieux, mais il y a un morceau admirable sur le suicide qui donne appétit de mourir.

Avez vous vu celui de la Popliniere ou Poupliniere? Esce vous qui avez envoié à m^r de la Marche notre Tancrede?

Nous avons ici Chimene! oui, le mq Chimene. Hélas nous ne vous aurons pas. Nous baisons le bout de vos ailes.