Paris 27 may 1754
Permettez, monsieur, que j'interrompe un peu vos rêveries champêtres de mon caquet bourgeois, et que mon esprit aille faire un tour de Thuileries à la Davière.
Je vous y souhaite une aussi bonne santé que celle dont je jouis ici, et que vous goûtiez autant de plaisirs au sein de la paix que nous en goûtons ici à voir la guerre allumée entre Voltaire et La Beaumelle. L'enragé a trouvé à qui parler; et vous seriez très content de leurs factums littéraires, car il y a toujours 3 ou 4 grosses injures à chaque ligne, et une pointe d'épigramme à chaque point. Vous ne haïssez pas de voir les muses se tignonner. Je connais votre façon de penser charitable là dessus; vous auriez pleine satisfaction. La victoire balance encore entre les deux partis; la haute renommée du roi des impudents n'en impose point à son jeune adversaire; Saumaize et Pétau n'y font œuvre; cela va le plus beau train du monde et tout Paris s'intéresse gaîment à cette batracomiomachie. L'abbé de Chauvelin est bien heureux d'être où il est, tant mal à son aise y puisse-t-il être; il ignore ce que Dargental sait et voit; ô profanation! un nouveau Polyeucte a foulé leur idole aux pieds; et ose avancer que Voltaire n'est qu'un âne et un fripon.
Je crois commettre un crime en vous le racontant….