19 octob. [1760]
Voicy mon cher ami une lettre de change de quatre Pierre, sur Robin mouton: je vous prie de donner un exemplaire de ma part au ferme et admirable Protagoras, et quand il aura lu mon Pierre, vous le luy ferez relier bien proprement.
Faittes des trois autres exemplaires ce qu'il vous plaira, et tâchez qu'aucun ne vous ennuie. Quand vous voudrez venir dans ma chaumière, nous vous voiturerons, puis vous hébergerons, chauferons, blanchirons, raserons et éguairons.
L'intendant de Bourgogne vint dans mon trou ces jours passez avec le fils2 de l'avocat général qui en a usé si cordialement avec nous. Il avait un cortège de proconsul. Le duc de Villars était chez moy. Nous allions jouer Fanime ou Medime, le nom n'y fait rien. Fanime est plus sonore à cause de l'alpha; nous n'en mimes pas plus grand pot au feu. Nous étions cinquante deux à table. L'intendant alla coucher à Ferney, sa trouppe à Tourney, la mienne aux Délices. Je reçus fort noblement, fort dignement le fils de l'avocat général. Son oncle me dit que dans quelques années il succéderait à son père. Souvenez vous alors, luy di-je, que vous devez être l'avocat de la nation. Le jeune homme m'attendrit. Il pleura à Fanime.
Il faut que Pompignan m'envoye son fils. J'ay lu deux brochures, l'une est de Lanoue, ærugo mera— l'autre d'une bonne âme mais cette âme se trompe sur le second acte de Tancrede. Il est vrai que les comédiens l'ont induit en erreur. Tancrede est toutte autre chose que ce que vous avez vu au téâtre. J'espère qu'à la reprise, ils joueront ma pièce et non pas la leur. Ils me doivent cette petite condescendance puisque je leur ay donné le produit des représentations et de L'impression. Mon cher ami il serait plus doux pour moy de faire pour L'amitié ce que j'ay fait pour les talents. Ce que vous me mandez de la Popliniere passe mes conceptions. Quelle disparate! Les fermiers généraux sont cependant les seuls qui aient de l'argent à Paris. Adieu, vous intéressiez vous baucoup au Canada? quid novi?
V.