1760-10-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Pinot Duclos.

Vous êtes ferme et actif, vous aimez le bien public, vous êtes mon homme, et je vous aime de tout mon cœur.
L'académie n'a jamais eu un secrétaire tel que vous.

Venons d'abord monsieur à ce dictionaire que L'académie va faire imprimer. Voicy un billet de six cent livres, et dans un an je donnerai six cent livres encore. C'est tout ce que peut faire un pauvre homme qui se ruine en églises et en téâtres.

Vous aurez votre T dans un mois ou six semaines. Vous n'attendez pas après le T quand vous êtes à l' a.

Non vraiment je ne me repose point. Robin mouton vendeur de brochures au palais roial, correspondant de Crammer, et chargé de vous présenter un Pierre, a dû commence[r par] s'acquiter de ce devoir. S'il ne l'a pas fait, il [ ] l'indignation des Crammer. Sous quel contres[eing] voulez vous que j'aye l'honneur de vous envoier Pierre, et de le soumettre à vos lumières? Pouriez vous aussi avoir la bonté de me dire où l'on adresse actuellement les lettres à M. le cardinal de Bernis?

Vous êtes très louable d'avoir fait sentir au vieux Crebillon sa faute. Je ne m'amuse guères à lire les approbations; je ne savais pas que l'auteur de Radamiste et d'Electre eût eu l'indignité d'approuver une pièce qui est la honte de la littérature, c'était se joindre aux lâches persécuteurs des véritables gens de lettres, mais le bonhomme radotte depuis longtemps. Puissiez vous réussir et venger les philosophes qu'on a voulu désunir et accabler. Est il possible que ceux [qu]i pensent soient avilis par ceux qui ne pensent pas? Il faut que je vous conte que nous allions jouer une pièce nouvelle aux Délices, m. le duc de Villars notre confrère y était, arrive le frère d'Omer de Fleuri, notre intendant de Bourgogne, avec le fils d'Omer. Il fut bien reçu, on luy fit grande chère, on luy donna la comédie. Il me présenta le fils d'Omer comme graine d'avocat général. Mr, di-je au jeune homme, souvenez vous qu'il faut être l'avocat de la nation, et non des Chaumex. D'ailleurs tout se passa à merveilles.

Je prends acte avec vous que le Tancrede que vous avez vu n'est pas tout à fait mon Tancrede, mais celui des comédiens qui l'ont ajusté à leur fantaisie, et qui l'ont orné d'une soixantaine de vers de leur crû assez aizez à reconnaitre. Ils en ont usé comme de leur bien, parce que je leur ay abandonné le profit de la représentation, et de l'édition.

J'ay envoié une petite dédicace à made de Pompadour et à M. le duc de Choiseuil; ils l'ont approuvée. Je luy parle dans cette épître du bien qu'elle a fait aux gens de lettres. Je commence par citer Crebillon, et même avec quelque éloge, car il faut être poli. Cela rend le procédé de Crébillon plus indigne. Je ne savais pas alors qu'il se fût dégradé au point d'être le receleur de Palissot.

Je finis mon respectable confrère par me féliciter de voir à la tête de nos travaux académiques un homme de votre trempe. Parlez, agissez, écrivez hardiment, le temps est venu où le bon sens ne doit plus être opprimé par la sottise. Laissons le peuple recevoir un bast des bastiers qui le bâstent, mais ne soyons pas bastez. L'honnête liberté est notre partage.

Comptez sur l'estime infinie, le dévouement, la fidélité, L'amitié du Suisse V.