1760-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon divin ange, le malingre des Délices est au bout des facultés de son corps, de son âme et de sa bourse; c'était un bon temps pour les gredins que celui de Chapelain, à qui la maison de Longueville donnait douze mille Livres Tournois annuellement pour sa pucelle, ce qui fesait, ne vous déplaise, environ le double des honoraires d'un Envoyé de Parmes.
La maison de Conti n'en use pas comme la maison de Longueville avec les auteurs de la Pucelle; aparament que Mr Le comte de la Marche ne me regarde pas comme un gredin. J'ai pris la liberté de lui écrire directement, et de lui expliquer mes droits très nettement; et il m'a répondu très honnêtement qu'il s'en tenait à la proposition de Mr l'abbé d'Espagnac. Si Mr Bertin n'obtient pas une meilleure composition je ne vois pas avec quoi on poura mettre Luc à la raison. Je crois avoir tout le droit de mon côté, ainsi que le prétendent tous les chicaneurs. Mais après avoir chicané un an, j'aime encor mieux payer à Monseigneur paramont et Dominant neuf cent vingt Livres que je ne lui dois pas, que de les dépenser en frais de procureurs et de juges; je suis bien las de tous ces frais; le Parlement de Dijon s'est avisé de faire pendre, ou à peu près, un pauvre Diable de Suisse, pour me faire payer la procédure en qualité de haut justicier; je suis tout ébahi d'être haut Justicier, et de faire pendre des Suisses en mon nom.

Le tripot est plus plaisant, mais on a les siflets et les Frérons à combattre. De quelque côté qu'on se tourne, ce monde est plein d'anicroches.

J'ai écrit à Laleu de faire porter chez vous 920£ pour achever le compte abominable de mr L'abbé d'Espagnac; mais en même temps, je meurs de honte de vous donner toutes ces peines. Comment ferez vous? Ce conseiller clerc demeure à une Lieüe de chez vous; aurez vous la bonté de lui écrire un petit mot d'avis par un polisson? Voudrez vous qu'il vous envoye le trésorier de S: A: S: avec une belle quittance, bien cathégorique? Ou bien, opinerez vous que cette quittance se fasse chez mon notaire? Tout ce que je sçais, c'est que vous êtes mon ange gardien, de toutes façons, et que je suis à présent un pauvre Diable. Je me suis ruiné en bâtîments, à la Palladio, en terrasses, en pièces d'eau, et les pièces de Théâtre ne réparent rien. J'attends toujours mon divin ange, que vous me disiez vôtre avis sur Spartacus.

Je suis actuellement avec Platon et Ciceron, il ne me manque plus que l'abbé d'Olivet pour m'achever. Il y a loin de là au tripot, mais je suis toujours à vos ordresa et à ceux de madame Scaliger à qui je présente mes respects.

Votre créature V.