1755-10-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à César Gabriel de Choiseul, duc de Praslin.

Je vous remercie monsieur, de monsieur Palissot et de touttes vos autres bontez.
J'en suis un peu indigne, je n'ay point verni mes cinq magots chinois comme je l'aurais voulu. Je viens d'envoier à monsieur Dargental ce que j'ay pu. Quoyque j'aye àprésent l'esprit assez triste je ne l'ay pourtant point tragique. Cette maudite pucelle qui m'a souvent fait rire me rend trop sérieux. Je crains que les âmes dévotes ne m'imputent ce scandale et la crainte glace la poésie. La pucelle de Chapelain n'a jamais fait tant de bruit; me voylà avec mes quatre cheveux gris chargé d'une fille qui embarasserait un jeune homme. Il arrivera malheur. Vous ne sauriez croire quel tort Jeanne d'Arc a fait à l'orphelin de la Chine.

Je ne manquerai pas de vous envoier monsieur le receuil de mes réveries, dès qu'il sera imprimé. Je convien que Lambert a négligé l'orphelin autant que moy, n'aurait il point aussi quelque pucelle à craindre? Je ne sçais plus à quel saint me vouer. Je trouverai toujours dans mon chemin st Denis qui me redemandera son oreille, st George à qui j'ay coupé le bout du nez, et surtout st Dominique. Cela est horrible. Les mahométans ne me pardoneront pas ce que j'ay dit de Mahomet. Il me reste la cour de Pekin, mais c'est encor la famille des conquérants tartares. Je vois qu'il faudra pousser jusqu'au Japon. En attendant monsieur conservez moy à Paris des bontez qui me sont plus prétieuses que les faveurs d'Agnes et le pucelage de Jeanne.