1755-05-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Il faut casser mes magots de la Chine, ma chère enfant; l'infidélité qu'on m'a faite sur cette ancienne plaisanterie de la Pucelle d'Orléans, empoisonne la fin de mes jours.
On m'a envoyé quelques morceaux de cet ouvrage; tout est défiguré; tout est plein de sottises atroces. Il n'y a ni rime, ni raison, ni bienséance. Cependant on m'imputera cette indigne rapsodie, et il m'arrivera la même chose que dans l'aventure de l'histoire générale. On imprimera ce que je n'ai pas fait, à la faveur de ce que j'ai fait. Le contraste de cet ouvrage avec mon âge et avec mes travaux, me fait sentir la plus vive douleur. Je suis très incapable de songer à une tragédie; il faut de la liberté d'esprit, et ce dernier coup m'étourdit. Si par hasard vous savez quelques nouvelles, si vous pouvez voir d'Arget et m'instruire, vous me ferez grand plaisir. J'aimerais mieux vous voir ici, vous feriez ma consolation avec votre sœur. Comment vont les bénéfices de votre frère? Si Jeanne d'Arc avait fondé quelque bon prieuré, il serait juste qu'il le desservît. Je lui souhaite des pucelles et des abbayes.