1735-06-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élisabeth Théodose Le Tonnelier de Breteuil.

Vénus et le dieu de la table,
Et Martelière à leur côté,
Chantaient tous trois un air aimable
Que tous trois vous avaient dicté:
Mais bientôt réduits à se taire,
Quelle douleur trouble leurs sens
Quand on leur dit qu'en son printemps
Le plus gai, le plus fait pour plaire,
Des convives et des amants,
Laissait là Comus et Cythère
Pour être grand vicaire à Sens!
Plaisirs, amours, troupe légère,
Il faut calmer votre douleur:
La sainte église aura beau faire,
Vous serez toujours dans son cœur.
Du froid séjour de la prudence
Il saura descendre en vos bras,
Escorté de la bienséance
Qui relève encor vos appas,
Et donne une jouissance
Que Lattaignant ne connaît pas.
Un cœur indiscret et volage,
Toujours occupé de jouir,
A souvent l'ennui pour partage;
Mais celui qui sait s'asservir
A ses devoirs, et vivre en sage,
Est bien plus digne de plaisir,
Et le goûte bien davantage.
Ainsi Bossuet autrefois,
Ce dernier père de l’église,
Dans les bras de la jeune Lise
Devint père aussi quelquefois.
Monsieur son neveu dans le temple
Apporta les mêmes vertus.
C'est un bel exemple de plus;
Mais on n'a pas besoin d'exemple.

Il ne vous manque plus que l’évêché, monsieur; vous avez tout le reste: et pour moi je ne souhaite autre chose que d’être votre diocésain. Vous auriez eu déjà de grands bénéfices si vous étiez né du temps qu'on donnait un évêché à Godeau pour des vers, et une abbaye considérable à Desportes pour un sonnet. Vous faites des vers mieux qu'eux, quand vous voulez jouer avec les muses. Mais puisque la fortune ne se fait plus aujourd'hui par la rime, vous la ferez par la raison, par la supériorité de votre esprit, par vos talents pour les affaires et par la vraie éloquence qui n'est pas, je crois, d'entasser des figures d'orateurs, mais de concevoir clairement, de s’énoncer de même, et d'avoir toujours le mot propre à commandement.

Voilà ce que j'ai cru apercevoir en vous, voilà ce qui vous donnera une vraie supériorité sur tous vos confrères, et qui fera votre réputation autant que votre fortune. Vous êtes un homme de toutes les heures; vous me paraissez aussi solide en affaires qu'aimable à souper. Il y a quelque fée qui préside à ces talents là, et qui a eu soin de votre éducation comme celle de madame votre sœur. Je vous retrouve à tout moment dans elle, et je crois qu'elle ne vous regrette pas plus que moi.

Adieu, monsieur; conservez quelque bonté pour un homme dont vous connaissez la respectueuse tendresse pour vous.