[c. 30 May 1769]
Monsieur,
Je ne suis point de ces personnes qui après avoir enfanté des ouvrages de ténèbres croient pouvoir en imposer au public qui les leur attribue, en les désavouant avec aussi peu de pudeur que de bonne foi.
Véridique comme doit l'être un évêque et tout honnête homme, je conviens sans difficulté de vous avoir écrit une lettre de six pages le 5 de mai 1769, laquelle n'a pas dû vous être remise par un inconnu, à moins que vous ne soyez en coutume de recevoir par des semblables voies celles qui vous sont adressées directement par la poste.
Les avis salutaires qu'elle contient ne sont rien moins qu'inutiles à un vieillard moribond à qui il reste beaucoup à faire et à réparer, pour se disposer à paraître au tribunal de ce juge souverain qui sonde le fond des cœurs et à qui l'on ne saurait faire illusion par des apparences trompeuses. Je souhaite de tout mon cœur qu'en rendant justice à la pureté des intentions dans lesquelles je vous ai donné ces avis, vous vous appliquiez sérieusement à les mettre en pratique. Vous le devez à votre honneur aussi bien qu'à la tranquillité de votre conscience, et ce sera le moyen le plus propre à donner du poids à certains certificats qui m'ont été adressés avec un mémoire daté de Ferney du 17 mai et signé par un mr de Mauleon qui se dit votre neveu, et que je n'ai pas l'honneur de connaître. Sans relever ce que ce mémoire renferme dans sa forme et dans son fond de contraire à toutes les bienséances, et aux justes égards qu'un diocésain doit avoir pour son évêque, en me taxant d'ailleurs d'avoir parlé de lettres écrites à mr le comte de St Florentin, et de réponses de ce ministre falsifiées, il roule sur une supposition si évidemment fausse et démentie par les paroles mêmes soulignées qu'on cite en preuve, que je n'ai pu me persuader qu'il eût été écrit de votre aveu et à votre nom. J'ai trop de peine de vous attribuer un défaut si visible de bonne foi et de raisonnement. Cependant pour me régler par rapport à l'usage que j'en dois faire, je me crois dans le cas de vous demander si c'est de votre part ou non que ce mémoire dont je joins ici la copie, m'a été envoyé, et c'est sur quoi je me flatte que vous ne me refuserez pas de me répondre d'une manière précise et sans tergiversation, et même sans vétiller sur le défaut d'une orthographe dont votre usage n'a fait encore rien moins qu'une loi générale.
Quoiqu'il en soit, mr, de votre façon d'envisager mes vues et mes démarches, tandis que je verrai la moindre lueur d'espérance de pouvoir encore contribuer à votre véritable et solide bonheur, je ne pourrai m'empêcher de vous exhorter et de vous solliciter vivement de profiter du temps que la miséricorde divine vous accorde encore. Disposé comme je le suis, à tout sacrifier, et à me sacrifier moi même pour vous arracher au malheur d'une perte éternelle, je ne cesserai non plus jamais d'être dans les sentiments d'un pasteur animé du zèle de votre salut le plus pur et avec respect.