Me trouvant dans le château de Ferney auprès de Monsieur de Voltaire, mon oncle à la mode de Bretagne, qui est très malade depuis deux mois, je lus il y a quelques jours une Lettre de six grandes pages, datée d'Annessy du 5 Mai 1769, signée J. P. évêque de Genève.
Cette lettre ne vint point par la poste, & fut rendue au château par un homme inconnu. On la confronta avec d'autres lettres, signées du nême nom, l'écriture ne parut point semblable; les fautes d'orthographe augmentèrent encore les soupçons.
Les choses que cette lettre contient nous parurent encore moins écrites par un évêque. Quelque ennemi s'est sans doute servi d'un nom respectable pour outrager un vieillard mourant. J'ai envoié cet écrit à un conseiller au parlement de Paris, neveu comme moi de Monsieur de Voltaire, pour le faire confronter par des experts avec les véritables lettres de Monsieur l'évêque de Genève. Il n'est pas possible que ce soit lui qui ait écrit à Monsieur de Voltaire ces propres mots: vous disiés vous même que c'était une grimace. Ces expressions basses & ridicules ne peuvent avoir été prononcées par un membre de l'académie française.
Il est parlé dans cette lettre de livres infâmes écrits du stile le plus grossier, que Dieu mercy nous ne lisons point ici, & qu'un évêque ne peut sans doute avoir lus; il y est parlé des lettres écrites l'année passée par Monsieur l'évêque de Genève à Monsieur le comte de saint Florentin, & des réponses faites par ce Ministre. Voici la manière dont on fait parler Monsieur l'évêque de Genève: si vous avez vu imprimées les lettres que je vous écrivis l'année dernière, il vous a été facile de reconnaître aux changemens qui y ont été faits, que je n'ai eu aucune part à cette impression &ca.
Il est très vrai-semblable que celui qui a publié & osé falsifier les lettres d'un Ministre d'Etat d'un Roi de France, est celui-là même qui vient d'écrire sous le nom d'un évêque respectable. Il est de l'honneur de Monsieur l'évêque de Genève de découvrir & de dénoncer l'imposteur qui a pu abuser à ce point du nom d'un Ministre d'Etat, faire imprimer les lettres de ce Ministre sans son aveu, & pousser l'audace jusqu'à les falsifier. Cela sera d'autant plus aisé à Monsieur l'évêque de Genève, qu'il peut se ressouvenir à qui il a confié les lettres de Monsieur le Comte de saint Florentin. Il sera encore plus porté à découvrir le fabricateur secret de tant de calomnies abominables en lisant les certificats ci-joints qui sont authentiques.
J'attends de sa justice & de son humanité qu'il daignera seconder ma famille, & se joindre à elle pour mettre un frein à la fureur du calomniateur qui persécute un vieillard moribond; qui compromet un prélat de la sainte église, & qui falsifie des lettres d'un Ministre du Roi.
Je le supplie de me pardonner, si je ne lui écris pas directement. J'ai cru qu'il valait mieux dresser ce mémoire que j'ai l'honneur de lui présenter
J'ai celui d'être avec respect son très humble & très obéïssant serviteur
De Mauleon fils de feu Mr de Mauleon Lieutenant Colonel du Régiment du Roi; Brigadier de ses armées
à Ferney ce 17 Mai 1769