1768-05-15, de Christoph Heinrich von Ammon à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai reçü Monsieur avec un très grand plaisir la lettre dont vous m'avéz honoré.
En pouvéz vous douter, les sentimens que de tout tems je vous ai vouez sont trop bien fondés pour s'éffacer par l'absence et certainement vous n'êtes pas fait pour être oublié.

Je vous remercie Monsieur de vos remarques sur mon Discours préliminaire; permettés, cependant, qu'à cet égard je vous éxpose quelques doutes.

Mon calcul d'Ayeux me paroit juste. Pour le vérifier, il suffit de doubler 16 fois le nombre 1 qui représente celui dont on fait la Généalogie, et de calculer ensuite le tout ensemble. J'ignore Monsieur de quelle méthode vous vous êtes servi pour trouver le nombre de 109616. La mienne dont je joins ici le formulaire n'est qu'une progression géométrique, car à chaque Génération ascendante le nombre double, et si dans le calcul que j'ai fait le nombre se trouve impair, c'est parce qu'on y a compris l'unité, c'est à dire la personne dont on fait la Généalogie. J'avoue qu'il auroit mieux valu ne la pas comprendre, et c'est une erreur sur laquelle je passe condemnation: il n'est donc pas nécéssaire de recourrir au miracle de la vierge Marie: il faut le réserver pour une meilleure occasion.

Je suis bien éloigné de vouloir concilier la Bible des Septante avec la Vulgate. J'en laisse le soin à quelque grave Théologien. Je suis tout aussi peu porté à contredire les Chinoix et les autres Peuples de l'Orient, sur l'anciennetée de leur origine. Il se peut que le Monde soit éternel et que le Genre humain le soit également, ou que du moins l'origine de l'un et l'autre soit éxtrémement reculée; mais cela ne fait rien à mon calcul. Je n'ai détérminé les 174 Générations que dans la supposition reçuë qu'il y ait eu un Adam et que le monde n'ait existé que depuis 5800 ans.

L'objection que vous faites Monsieur sur les Charges de sécrétaires d'Etat et sur le refus que les Gens titrés ont fait de les accepter jusqu'au Mal de Belle Isle est plus aisée à éclaircir que la conception de la vierge et l'étérnité du Monde. Ce que j'ai dit à cét égard me paroit vrai et conforme à l'Histoire. De tous ceux que vous nommés il n'y a eu que le Cardinal de Richelieu qui étant Evêque de Luçon, ait êté secrétaire d'Etat, mais un Evêque n'est point un homme titré, et pour le devenir il n'est pas nécessaire d'être Gentilhomme, moins encore de faire partie de la haute Noblesse.

Par sa naissance le Cardinal de Richelieu, quoique de bonne Maison n'étoit ni titré ni de la haute Noblesse: car on n'appelle en France Gens titrés que les Ducs et maintenant les Grands d'Espagne qui ont rang avec eux, et avant ce Cardinal les du Plessis n'ont jamais fait partie de la haute. Noblesse: son exemple ne prouve donc rien.

Le Maréchal d'Ancre, le Connétable de Luynes, et le comte de Schomberg, ne se trouvent point dans la Liste des secrétaires d'Etat, ils n'en ont jamais fait les fonctions, et l'on ne voit nulle part qu'ils ayent contresignés en cete qualité.

Le Marquis d'O, le Duc de Sully, le Mal de la Meilleraye, le Marquis de Vieuville ont gouverné les Finances, comme Surintendant et Ministre des Finances: aucun d'eux n'a été secrétaire d'Etat, par conséquent aucun d'eux n'a contresigné: ils ont pu en qualité de surintendans ou de Ministres mettre leur Visa aux éxpéditions des Finances; mais un Visa n'est pas un contre-seing: pour signer au nom du Roi il falloit nécéssairement être sécrétaire d'Etat, et pour être pourvû de cete Charge il falloit préalablement avoir êté reçu secrétaire du Roi. C'est là peut-être une des raisons pour les quelles les Gens titrés et la haute Noblesse avant le Mal de Belle Isle n'ont jamais voulu accepter ces Places: peut être aussi parce que les secrétaires d'Etat en contresignant ne pouvoient mettre que leurs Noms de famille sans y ajouter les Noms de Terres, ni aucuns Titres: et parce que ceux qui en même tems n'étoient pas Ministres étoient obligés de se tenir de bon au Conseil: quoi qu'il en soit il est certain que cete Charge donnoit l'exclusion aux Honneurs.

Quant au sieur de Sancy que vous comtifiés, il a à la vérité administré les Finances, pour un tems, par commission, dans un conseil avec d'autres; mais il n'a été ni surintendant ni Ministre des finances ni secrétaire d'Etat: d'ailleurs son exemple ne prouveroit rien: vous savez, Monsieur qu'il étoit d'une famille de Robe de celle de Harlay.

Tout ce que l'on peut dire sur ceux qui ont gouverné les finances ne fait rien à mon Discours préliminaire: je sais très bien que les plus grands seigneurs n'ont jamais dédaigné les Places de surintendans et de Ministres des Finances; mais il n'est question que des secrétaires d'Etat, et pour vous prouver que ce que j'en ai dit est conforme à la vérité, je vous citerai un exemple moderne, c'est celui du Marquis de Puyzieulx: Lors qu'en l'année 1747 on lui offrit la Charge de secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères, à la quelle seule celle de Ministre étoit toujours attachée, il ne voulut accepter que la dernière, pour ne pas se donner l'exclusion au Cordon-bleu au quel il visoit, et celle de secrétaire d'Etat, que son prédécesseur le Marquis d'Argenson avoit eue, fut répartie dans les Départemens des trois autres secrétaires d'Etat.

S'il est certain que ces Charges donnoient ci devant l'exclusion au Cordon bleu, il est naturel que les Gens de la prémière qualité n'ayent pas voulu les accepter: aussi dans la Table chronologique des secrétaires d'Etat depuis leur établissement en 1547 n'en trouve t'on aucun de cette volée, ni aucun qui ait eu le Cordon bleu à titre de Chevalier.

Voilà Monsieur ma justification, je la soumês à vos lumières: il est tout simple que vous sachiez mieux l'Histoire de vôtre Patrie, et les usages de la Cour de Versailles où vous avez été pour ainsi dire élevé que moi étranger, et qui pis est Allemand. Si j'ai tort je ne rougirai point de l'avouer, il n'est pas honteux de l'avoir vis à vis de vous, d'autres qui valent mieux que moi se sont trouvés dans le cas, et si j'ai raison je croirai que les pétits détails ne sont point faits pour les grands Hommes, et que ces misères n'ont pas mérité votre attention.

J'ai l'honneur d'être avec un attachement sincère Monsieur vôtre très humble et très obeïssant serviteur

Ch. d'Ammon

Générations Personnes
Celui dont on fait la Généalogie 1
première Génération 2
2de Génération 4
3e 8
4e 16
5 32
6 64
7 128
8 256
9 512
10 1024
11 2048
12 4096
13 8192
14 16384
15 32768
16 65536
total des personnes 131071