1765-01-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Gamonet.

L'auteur du mémoire Veut justifier sur trois points, le faussaire qui prit le nom du Cardinal de Richelieu.

Le premier Chef est Celui de la taille, que le prétendu testament politique propose de faire païer à toutes les Cours supérieures.

L'auteur du mémoire dit que les seigneurs en Flandre sont soumis à la taille; mais il ne peut inférer de là que le parlement de Paris et la Chambre des Comptes doivent la païer: en Voicÿ la raison évidente.

L'impôt sur les terres aiant toujours été païé dans la Flandre autrichienne Comme en Angleterre, sans distinction de personnes, n'est point avilissant; il L'est en France: il n'a jamais été imposé que sur les Roturiers qui représentent les anciens serfs de glèbe. Il serait également odieux et impraticable de réduire les premiers magistrats du Roiaume à la Condition des anciens serfs, de leur ôter jusqu'au privilège des Bourgeois de Paris, et de mettre quelque fois un Chancelier et un premier président dans la dépendance d'un Colecteur de Village. Cette idée est si ridicule qu'elle ne mérite pas d'être réfutée.

Le second Chef est l'Idée non moins absurde d'enroller la noblesse, et de la faire servir par force dans la Cavalerie. Si le Cardinal de Richelieu avait fait une telle proposition, il eût mérité que la noblesse assemblée L'eût Condamné à lui demander pardon à genoux.

Le troisième point est le galimatias sur les finances qu'on trouve au Chap: 9 du testament politique.

L'auteur du mémoire explique très bien ses propres idées, mais L'auteur du testament exprime très mal les siennes. On ne peut donner un sens raisonnable à Ce Chapit: 9 du testament, même en entendant tout le Contraire de ce qu'il dit.

Les premières Rentes Constituées, dit-il, sur la taille qui se Vendent d'ordinaire au denier Cinq, ne doivent être Considérées et remboursées que sur Ce pied.

Ces Rentes sur les tailles avaient d'abord été Constituées au denier seize, C'est à dire, elles rendaient six et un quart du Capital par année.

Le faussaire, qui après le nom du Cardinal de Richelieu, propose de les rembourser au denier Cinq, Veut-il dire dans son langage inintelligible, qu'on remboursera le Capital de la Rente de six et un quart, Comme si on remboursait le Capital de la rente de Cinq? Cela est absurde. Veut-il dire qu'on remboursera au denier Vingt le Capital établi au denier seize? C'est encor la même ineptie, Car le Roi rembourserait plus qu'il n'aurait reçu.

De quelque manière qu'on Veuille expliquer la Chose, le fond en est si obscur, et si mal exprimé, qu'il est impossible de L'attribuer à un ministre.

De Ces Rentes sur les tailles, Créees en divers temps, et à divers deniers, les unes se Vendaient un peu plus, les autres un peu moins dans le public, mais je ne Connais aucun traitté sur les finances, aucun livre, aucun mémoire dans lequel il soit dit que Ces Capitaux perdissent soixante et quinze pour Cent dans le Commerce.

Cette supposition d'un Capital de Cent mille livres réduit à Vingt-Cinq mille livres, ne pourait encor disculper L'auteur du testament politique. Car supposons que je Vous rembourse Vos Vingt Cinq mille livres à Cinq pour Cent, C'est à dire, au denier Vingt (que le testament appelle très mal à propos le denier Cinq) Comment en sept ans et demi Vous aurai-je remboursé la rente de Vingt Cinq mille livres, à Cinq pour Cent, C'est à dire au denier Vingt? Ce denier Vingt toujours appellé le denier Cinq dans le testament, ferait au bout de sept ans et demi 18750lt et non pas Vingt Cinq mille livres. L'auteur du mémoire qui Cherche à jetter quelque jour sur Ce Cahos, et qui Veut pallier les erreurs du faussaire, imagine que par le denier Cinq on peut entendre qu'un Contract qui valoit d'abord deux mille francs de fond n'en Valait plus que Cinq Cent. Mais Certainement Cinq Cent sont le quart de deux mille et ne sont pas le denier Cinq.

Quand le fils de Samuel Bernard, maitre des Requêtes et surintendant de la maison de la Reine, fit une banqueroute de quatre millions, dans la quelle je fus Compris pour Cent mille livres, on nous fit espérer d'abord que nous ne perdrions que soixante quinze pour Cent; on ne nous dit pas, messieurs, Vous serez remboursés au denier Cinq; mais il n'ÿ eût point de Calcul à faire Car nous perdimes tout.

Enfin, de quelque façon qu'on s'ÿ prenne, le testament reste un monument d'absurdité que les ignorants admirèrent, séduits par un grand nom. On a souvent approuvé des Livres Comme on en a Condamné d'autres, sans les lire.

P: S: L'auteur de cette réponse présente ses très humbles obéissances à mr De Villette et à Mr Gamonet.