A Ferney, 5 mars 1768
Les trois quarts de la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV sont imprimés, monsieur, et à moins que vous n'ayez quelques anecdotes sur le jansénisme, il ne m'est plus possible de vous en demander sur les affaires politiques.
Je sais bien qu'il y a eu quelque politique dans les querelles des jansénistes et des Molinistes; mais en vérité elle est trop méprisable; et c'est rendre service au genre humain, que de donner à ces dangereuses fadaises le ridicule qu'elles méritent.
Quant au testament attribüé au cardinal de Richelieu, vous pouvez, je crois, m'instruire avec liberté de tout ce que vous en savez, et en demander la permission à Mg͞r le duc De Choiseuïl en luy montrant ma lettre. Madame la Duchesse d'Aiguillon a fait chercher au dépôt des affaires étrangères tout ce qu'Elle a cru favorable à son opinion. Si vous avez quelques lumières nouvelles, je me rétracterai publiquement; et je dirai que le Cardinal De Richelieu a fait en politique un ouvrage aussi ridicule et aussi mauvais en tout point, qu'il en a fait en théologie. Mais jusque-là je croirai qu'il est aussi faux que ce ministre en soit l'auteur, qu'il est faux que celui, qui ôte un moucheron de son verre, puisse avaler un chameau.
La narration succincte, très mal composée par l'abbé de Bouzeis, sous les yeux du Cardinal de Richelieu, n'a rien de commun avec le testament. Elle démontre au contraire que le testament est supposé. Car, puisque cette narration récapitule assez mal ce qu'on avait fait sous le ministère du Cardinal, le testament devait dire bien ou mal ce que Louis 13 devait faire, quand il serait débarassé de son ministre. Il devait parler de l'éducation du dauphin, des négociations avec la Suède, avec le duc de Weimar et les autres princes allemans, contre la maison d'Autriche; comment on pouvait soutenir la guerre, et parvenir à une paix avantageuse; quelles précautions il fallait prendre avec les huguenots; quelle forme de régence il était convenable d'établir en cas que Louïs 13 succombât à ses longues maladies, &c.
Voylà les instructions qu'un ministre aurait données, si en effet parmi ses vanités, il avait eu celle de parler après sa mort à son maitre. Mais il ne dit pas un mot de tout ce qui était indispensable; et il dit des sotises énormes, dignes du chevalier De Mouhi, et de l'ex-capucin Maubert, sur des choses très inutiles.
Si vous voyez m. le chevalier de Beauteville, je vous supplie, monsieur, de vouloir bien lui présenter mon respect.
Aimez un peu, je vous en prie, un homme qui ne vous oubliera jamais.