1764-12-10, de Louis Mayeul Chaudon à Voltaire [François Marie Arouet].

Vos nouveaux doutes sur le testament du cardinal de Richelieu, sont un nouveau motif que vous fournissez aux hommes de s'édifier de leurs idées. Le ton de modération qui y règne n'a pu surprendre que vos ennemis. Le plus aimable des philosophes doit être le plus poli des critiques.

J'avoue que les testateurs, à la façon de Crispin, sont aussi communs que les projecteurs à la Caritidés. Les testaments politiques sont une mauvaise graine qui croît sur les tombeaux des hommes, lesquels ont occupé, pendant quelques minutes, l'attention de notre taupinière. On ne s'est point contenté de faire tester des ministres, on accorde aujourd'hui le même honneur à tous les personnages un peu fameux, soit qu'ils aient été revêtus de la pourpre, soit qu'on les ait vus en guenilles, Je ne désespère pas de voir un jour le testament de Ramponeau. Mais enfin, parce que quelques valets ont pris l'habit de leur maître, conclurez vous que les maîtres n'ont jamais porté cet habit? Boisguillebert a fait le testament de Vauban; Courtils celui de Louvois; Maubert celui d'Albéronni; Chevrier celui de Belle-Isle; mais cela prouve-t-il que le cardinal de Richelieu n'ait pu faire le sien? Au contraire, celui ci avait si bien réussi, que les petits auteurs, peuple singe qui vit des restes de nos grands hommes, le firent les testateurs du genre humain.

Vous ne voulez pas que Richelieu, amant public de Marion de Lorme, ait prêché la chasteté à un roi infirme? Et pourquoi non? Ne voyons nous pas tous les jours la calomnie s'élever contre la calomnie? Molière, malheureux en femme, ne ridiculisa-t-il pas toute sa vie les maris malheureux? Rien de plus commun que de voir la morale à la bouche et sous la plume de ceux qui pèchent par les actions.

Il y a des choses dures, il y a des conseils violents; donc cet ouvrage n'est pas du cardinal: voilà comme vous concluez; et moi je tire, avec tous les lecteurs, une conclusion toute différente; donc il en est l'écrivain. Il écrivait sa théorie d'après sa pratique. Pouvez vous faire valoir unet elle raison, vous qui avez peint ses violences avec plus de vivacité qu'aucun autre historien, et avec la chaleur que l'humanité, dont vous faites profession, devait vous inspirer.

Relisez, je vous prie, votre histoire universelle sous le règne de Louis XII, et vous verrez si ces maximes impitoyables que vous reprochez au testateur, sont indignes du persécuteur de la reine mère, sa bienfaitrice, et de l'auteur de cent autres procédés tyranniques.

Le style vous déplaît; mais avez vous été plus satisfait de celui des autres ouvrages du cardinal de Richelieu? Cet enfant que vous appelez l'illégitime, ne porte-t-il pas les traits des autres productions de son père? On peut être un très habile ministre et un très mauvais écrivain. Les grands hommes ne sont grands ni en tout temps, ni en tout genre.

Richelieu aimait à écrire; c'était un calmant au milieu des agitations dont il était dévoré; il peut donc avoir écrit ou du moins dicté son testament, quelques fautes qu'il y ait. Vous aimez mieux les attribuer à l'abbé de Bourzeiz qu'à un grand ministre; mais les héritiers des papiers de cet abbé n'ont jamais pu découvrir, parmi ces nombreux brouillons, rien qui ait rapport à ce testament; laissons le donc à celui dont il porte le nom. L'ouvrage étant mauvais, peu importe qui en est l'auteur. Si je ne connaissais pas la source d'où sont sorties Zaïre ou Mérope, je la chercherais avec avidité; mais cette recherche serait bien ridicule à l'égard de quelques productions d'un écrivain du dernier ordre, etc.