1764-12-27, de Jean François Gamonet à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Permettriez Vous à un homme fort obscur, mais qui Vous honore beaucoup, de Vous adresser à Vous même ses Réflexions touchant quelques principes qui lui font de la peine dans Vos doutes nouveaux sur le testament politique attribué au Cardinal de Richelieu?

Bon Dieu! me suis-je déjà dit bien souvent à moÿ même, Comment! moÿ Ecrire à Monsieur De Voltaire? moÿ oser luÿ dire qu'il se trompe? J'avoue, Monsieur, que J'ai eu beaucoup de peine à surmonter ma Répugnance Contre Cette démarche, mais J'aÿ lû si souvent et en tant d'Endroits différents de Vos ouvrages, que Vous recevriés toujours avec plaisir les observations honnêtes que L'on pourroit Vous faire, que Cette assurance réitérée m'a enfin donné tout le Courage dont J'aÿ eu besoin pour exécuter le dessein que J'avois Conçu.

Avant d'entrer en matière, souffrés, Monsieur, que J'ose Vous demander de L'indulgence en faveur de ma Grammaire. J'aÿ bien fait autre fois, ce que L'on appelle toutes mes études, mais J'étois fort Jeune lorsque Je les achevaÿ et Je suis très Vieux maintenant. Dans le Cours de Ce long intervalle, J'aÿ toujours été Comme Je suis encore, un méchant artisan de finance, or Ce métier où selon le public, L'on apprend plus à faire fortune qu'à Ecrire Correctement, ne m'a précisément rendu n'ÿ L'un nÿ L'autre de Ces deux bons offices lâ, et Je sais bien, lequel me feroit aujourd'huÿ le plus de plaisir. Aÿés donc Monsieur, La bonté de ne Juger Ce que Je Vais Vous dire, et ce que je Vous aÿ déjà dit, que selon la Valeur des Choses, et ne Comptés pour rien s'il Vous plait, mes fautes Contre la pureté du Langage.

Je ne Viens point, Monsieur, Vous dire que Vous Vous trompés en doutant que le testament politique dont il s'agit, soit L'ouvrage du Ministre, sous le nom du quel on le redonne au publicq. J'avoue, au Contraire, que Je suis fort entrainé par Vos raisons; d'ailleurs, Comme Vous le dites très bien, les disputes de Ce genre sont purement futiles; un Livre est bon, ou il est mauvais, surtout Lorsqu'il est Composé pour instruire; au per Cas, il faut penser et agir selon Ce qu'il enseigne, au 2e il faut, ou le brûler, ou ne plus le lire; or qu'importe à tout Cela qui du ministre ou de son secrétaire en soit L'auteur.

Quant à moÿ Monsieur, C'est au secours de quelques unes des maximes de L'ouvrage même, que Je m'empresse d'accourir: et Je me présente à Vous pour Contre dire les principes dans lesquels Vous Vous établissés pour méconnoitre Ces Maximes dans la bouche du Cardinal de Richelieu, Comme n'aÿant pû être la pensée d'un aussÿ Grand Ministre.

Ces maximes sont Monsieur, précisément Celles auxquelles Vous revenés le plus souvent; L'une qu'il faut faire paÿer la taille aux Magistrats des Cours supérieurs en Certains Cas, L'autre enrôler la Noblesse, si elle Cessoit d'entrer Volontairement au service militaire.

Je Confesse Monsieur, que je n'aÿ pu sans Etonnement Vous Voir regarder Ces deux Conseils Comme durs, et Comme déplacés tout ensemble, dans la Bouche d'un Ministre les donnant à son Roÿ; Voicÿ mes Raisons; L'une que Ces deux Conseils Considérés en eux mêmes me paroissent, on ne peut pas plus sages, L'autre que Vous les avés donnés Vous même, du moins L'un d'Eux, plus d'une fois en parlant aux hommes Comme leur amÿ, C'est à dire, en Philosophe; d'où Je Conclus que, si Vous avés dû improuver Celluÿ Cÿ, ce n'a pu être que pour Vous plaindre de Ce que le Cardinal Ministre ne Conseilloit pas d'imposer les Magistrats à la taille dans tout les Cas, au lieu de ne les ÿ assujetir que dans quelques uns seulement. Je raporte icÿ ce que J'aÿ Extrait là dessus de Vos ouvrages, Edition de 1757, sans nom d'Imprimeur nÿ de L'endroit où ils ont été imprimés.

Tom. 7, Page 108, Arte 7

‘Ce Gouvernement seroit digne des Hottentots dans lequel il seroit permis à un Certain nombre d'hommes de dire, C'est à Ceux qui travaillent à paÿer, nous ne devons rien parce que nous sommes Oisifs.’

Tom. 8, page 248, Sur le Gouvernement Anglois

‘Un homme, parcequ'il est noble ou Prêtre, n'est point icÿ exempt de payer Certaines taxes. Quand le Bil est Confirmé par les Lords et aprouvé par le Roÿ, alors tout le monde paÿe, Chacun donne, non selon sa qualité, ce qui seroit absurde, mais selon son Revenu. Il n'y a point de taille nÿ de Capitation arbitraire, mais une taxe réelle sur les terres.’

Tom. 8, page 26

‘Les Impôts sont nécessaires, La meilleure manière de les lever est Celle qui facilite davantage le travail et le Commerce, un Impôt arbitraire est Vicieux.’

Au premier des textes Cÿ dessus, L'on Voit, Monsieur, et par le texte même, et par ce qui le suit, que C'est des gens d'Eglise que Vous parlés, mais le fait me suffit, Je Veux dire que C'est assés pour moÿ que Vous reconnoissiés L'abus du privilège, parce que Cet abus est le même dans L'Exemption du Noble, que dans Celle de L'Evêque, de L'Abbé &a.

D'ailleurs, Monsieur, en raprochant L'Esprit de Vos différens textes on Voit Clairement que Vous Voulés que tous les hommes Contribuent aux Charges de L'Etat, non selon leurs qualités, ce qui seroit absurde, dites Vous avec raison, mais selon ce qu'ils possèdent; or si Vous avés pensé Comme Cela dans un tems (Eh Comment après avoir pensé si bien une fois peut on ensuitte ne pas penser toujours de même?) pourquoÿ improuvez Vous aujourd'huÿ dans la Bouche d'un Ministre d'Etat qui est la seule personne qui puisse le dire avec fruit, Ce que Vous même avés répété si souvent? Sans doute à dessein que Cela fit plus d'impression?

Je Vois bien, Monsieur, que dans Votre tableau du Gouvernement anglois Vous observés qu'il n'ÿ a point de Taille personelle et arbitraire: Celle que le Cardinal Ministre Conseilloit de faire paÿer aux Magistrats supérieurs en Certains Cas, étoit de Ce genre; et L'on apperçoit que Vous regardés L'assujétissement à Cette Espèce d'impôt Comme ravalant la dignité de la Magistrature, mais Elle paÿe la Capitation, qui est la même Chose à la différence de nom près; d'ailleurs il ne s'agit pas aujourd'huÿ, et il ne s'agissoit pas, lorsque Vous avés Ecrit le morceau, que Je raporte sur les Anglais, de discuter la nature des Impositions, mais seulement L'alternative, si elles doivent être paÿées, par tous selon la faculté d'un Chacun, ou seulement par les uns, non par les autres, à Cause de la qualité; or Vous avés prononcé net Contre Vous même; au fond Monsieur Ce n'est point à la nature de L'impôt que se raporte le motif qui le Crée, mais au besoin que L'Etat en a; dès lors ne seroit-ce pas le Comble du déraisonnement de dire qu'il ne faudroit ÿ assujétir que le petit et le pauvre, pour en affranchir le grand et le Riche? Que diroit-on d'un Père de famille impotent, qui aÿant deux fils, dont L'un Robuste, et le deuxième impotent Comme luÿ, ne seroit secouru que par Ce dernier. Les enfans Courroient sans doute à Coups de pierres sur le fils dénaturé, qui pouvant seul secourir tout à la fois son Père et son frère, les abandonneroit Egalement tous les deux à leur foiblesse mutuelle, et les laisseroit succomber L'un par L'autre sous les efforts mêmes qu'ils feroient pour s'entresecourir.

Vous avés sûrement, Monsieur, rendu un très grand service à tout le genre humain lorsque Vous nous avés fourni le tableau de Ce qui se passe de Contraire Chés les Anglais; mais le Cardinal Ministre qui par Etat étoit obligé de Voir et de rechercher ce que Vous n'avés Vû et remarqué que par amour de L'humanité, avoit des semblables Exemples, qui pour être plus près de luÿ, devoient en Etre apperçus plus facilement, Comme aussÿ luÿ paroître plus faciles à transporter et à introduire parmÿ Nous, par la raison que les trouvant établis Chés des peuples nos Voisins et nos anciens Concitoÿens, il devoit Craindre L'obstacle de la trop grande différence des moeurs; C'est des Flamands, Monsieur, que je Vous parle icÿ: en effet dans la Flandre proprement dite, Province très Considérable, dont la majeure partie est demeurée sous la Domination de la maison d'Autriche, les Impôts se paÿent sans égard à la qualité des personnes; demandés à La maison de Montmorency, dont plusieurs branches ont de gros biens dans la Flandre, à M. Le Maréchal Prince d'Izengiem et à Beaucoup d'autres Princes et Grands Seigneurs, tous Vous diront, qu'ils ÿ paÿent la taille pour la terre qui leur appartient à L'Egal du savetier qui en possède une à Côté de la Leur; or si le même seigneur qui a des biens en Flandre et en Picardie paÿe la taille dans une province, pourquoÿ ne la paÿeroit il pas dans L'autre? et si Mesrs les Conseillers au Parlement de Douaÿ la paÿent aussÿ, Comme Cela est Certain pour les terres qu'ils ont dans Cette même Flandre, pourquoÿ Mrs les Conseillers au Parlement de Paris et autres ne la paÿeroient ils pas de même que Celles qu'ils ont ailleurs? ou sur leurs personnes, selon les usages des différentes Provinces où leurs biens peuvent être scitués, et où leur résidence est déterminée? Dans Cette Flandre dont je parle, Monsieur, il n'est aucun impôt qui ne soit paÿé indistinctement sur ce que Chacun possède ou Consomme; or partie des Flamands sont français aujourd'huÿ; ainsÿ le plan que Vous désaprouvés à Cet égard dans le Cardinal de Richelieu nous est devenu propre par le seul effet du Cours naturel des Evennemens survenus depuis la mort de Ce ministre.

Je passe maintenant Monsieur, au deuxième Conseil du Cardinal Ministre de forcer la Noblesse au service, si elle Cessoit de s'ÿ porter Volontairement; Vous trouveréz Monsieur, Ce Conseil plein de dureté et malgré moÿ je suis forcé de Vous dire qu'il me paroit au Contraire on ne peut pas plus juste. Nous pourrions seulement luÿ reprocher en Commun qu'il étoit inutile, en ce que la Noblesse française a trop d'honneur, en même tems qu'elle Connoit trop ses devoirs pour que L'on doive Craindre qu'il luÿ arrive jamais de ne pas avoir prévenu L'ordre de se dévouer à la deffense de La patrie; mais dès que le Ministre s'est Cru permis de présenter à son Maitre ce Cas, Comme pouvant arriver, il a dû par une Conséquence nécessaire luÿ proposer pour remède le Conseil qu'il a donné.

Je pourrois Monsieur entrer icÿ dans la recherche des différentes loix et ordonnances de nos Roÿs qui font à la Noblesse française, une obligation du service militaire, Vous dire que Cette obligation remonte aux premières possessions des fiefs qui obligeoient au service personnel, Vous rapeller, Chemin faisant, que lors du per Etablissement de la taille sous Philippe Auguste, Cette obligation du service personnel reçut un nouveau Lien dans L'Exemption du nouvel impôt, terminer enfin Cette recherche par Vous en remettre sous les yeux la trace Conduitte Jusqu'à nous par le droit qu'a le souverain en France de Convoquer le ban et L'arrière ban, C'est à dire toute la Noblesse du premier et du second ordre, selon le besoin de L'Etat; mais Vous sçavés, Monsieur, toutes Ces Choses là Beaucoup mieux que moÿ; d'ailleurs une seule réflexion suffit pour trancher entre nous la difficulté par le noeud, C'est que nos ordonnances tant anciennes que nouvelles Excluant en général les Roturiés de L'honneur de participer au Commandement des troupes du Roÿ en qualité d'officiers pour le réserver à la seule Noblesse, il suit nécessairement de Ce fait que les Nobles qui restent seuls doivent et peuvent être nécessités selon le besoin à Cette portion du service militaire, dont les Roturiés sont Exclus en leur faveur, et puisque nos Roys ont et exercent le droit de forcer le peuple à less ervir Comme soldats ou Comme Matelots par la Voÿe du sort et par Celles des Classes, il faut bien qu'ils puissent forcer de même la Noblesse à les servir Comme officiers, parce que les soldats ne peuvent pas plus servir L'Etat sans officiers que les officiers sans soldats.

Il est encore une Réflexion Monsieur à la quelle Je ne puis me refuser. C'est Votre article intitulé Affaires des finances qui me l'a fournit, Pages 42 et 43 de Vos doutes nouveaux, pour expliquer entre nous le point de la difficulté que fait naitre Cet art. Il est nécessaire que je Vous présente le texte du testament à côté de Votre objection.

Texte du Testament, 2e Partie, Page 166.

Les 1rea Rentes Constituées sur les tailles qui se Vendent au denier Cinq, ne doivent être Considérées et remboursées que sur le pied selon lequel leur propre Jouissance en fait le remboursement entier, en sept ans et demÿ; les autres sur le denier six dont le remboursement par la propre Jouissance ne peut se faire qu'en huit ans et demie, les offices d'Election &ca sur le pied du den. 8, tous ces prix Etant Ceux auxquels telles Charges ou rentes se Vendent Couramment. Page 172, De 30 millions il ÿ eu après de 7 au denier 5 dont la supression se fera en 7 1/2 années 24 au denr6 dont la supression en 8 1/2 le tout par la Jouissance.

Objection de M. De Voltaire

A toutes les Vraisemblances, qui me paroissent des Certitudes, J'ajouteray toujours que si le Cardinal a voulu donner des leçons à son maitre, s'il Entre dans quelques détails il se trompe toujours, s'il parle des finances Chap. 9 il fait des fautes qu'un Ecolier ne commettroit pas de trente millions &a.

1º L'Auteur met le der 5 pour le der 20.

2º Comment imaginer que dans 7 1/2 années un fond est absorbé par la Jouissance à 5 pour Cent? Ces 5 pour Cent en 7 1/2 Années font 37 1/2 et je demande à Barème si 370 font 100.

Je prie tous les Calculateurs et gens versés dans la finance de lire Ce Chapitre et de dire s'ils ont jamais Vu de pareils Comptes et de pareils projets de Ministre.

J'ose Monsieur Vous représenter que Votre défÿ ne peut absolument tourner que Contre Vous même, en ce que Vous ne prenés point du tout icÿ le Véritable point de la question.

Ce que dit L'auteur de son projet de supression Contient douze pages Commençant à la 165e et finissant à la 176e et toutes ses Vues ÿ sont on ne peut pas mieux expliquées, d'après quoÿ une discussion aussÿ détaillée ne méritoit-elle pas Monsieur, selon les règles de la bonne Critique que Vous Vous donnassiés un peu plus la peine de L'approfondir? Votre 1ère idée raporte tout le sistème du testament à la proportion de Cent à Cinq qui sont L'un le Capital, L'autre le produit ordinaire de toutes les Constitutions de rentes parmÿ nous, et C'est de ce principe que Vous parlés pour improuver tout Ce qu'a dit L'auteur.

Mais Ce principe est faux, en ce que le testament ne raisonne pas sur le prix de la pre Constitution des Rentes, mais sur Celuÿ auquel Ces mêmes Rentes s'achètent Et se Vendent Couramment; Voÿés là dessus son premier mot page 165, et Ce prix est pour les unes le denier Cinq, pour les autres le denier 6, pour les dernres Enfin le denier 8. Et Voilà, Monsieur, d'où il faut partir.

Les Choses en Cet Etat, rien de plus juste que tout L'Enoncé du Chapitre entier que Vous taxés de ne Contenir que des erreurs. En Voicÿ la preuve; je la borneraÿ à une seule des trois Espèces de Rentes raportées parce que prouvant tout sur Celle là, J'auraÿ de même tout prouvé sur les deux autres.

Le denier auquel une Chose se Vend publiquement représente sa Valeur actuelle, abstraction faite de toute autre Valeur primitive plus forte ou plus foible; Cela posé les 30 millions dont parle L'auteur peuvent bien avoir été Constitués par le Roÿ à 5 pour Cent, et sa Majesté en avoir reçu les Capitaux sur Ce pied, mais au Jour où parloit le Cardinal Ces mêmes 30 millions n'en Valoient plus Couramment que sept, c'est à dire pour parler le langage du Commerce, que Ces Contrats perdoient plus de 75 pour Cent, quoique les Rentes n'en eussent pas encore été réduites par L'autorité souveraine; dès lors il est Clair que réduisant Ces mêmes rentes au denier de leur Capital Courant, ce qui est L'idée de L'auteur, tout le Reste de son sistême devient on ne peut pas plus Conséquent, Voicÿ un Exemple.

Je suppose un Contract de 2000H en Capital qui donnant sa rente au dener 20 produira par an cy 100lt

Cependant Ce même Contrat au lieu de Valoir les 2000lt de sa Création ne se Vend plus que 500lt qui est le denier Cinq de Cent Cÿ 500lt

Or 500lt à 5 pour Cent ne doivent rendre que 25lt par an cÿ 500lt

Ainsÿ le Capital de 2000lt ne subsistant plus par le décri public que pour 500lt et n'en Rendant que 25lt par an qui est L'intérêt légal de sa Valeur actuelle le Roÿ gagne annuellement sur la Rente 75lt Comme le porteur du Contract en avoit gagné 1500lt sur le Capital en L'acquérant; faites maintenant Vous même Monsieur L'opération et Vous Verrés que le Roÿ qui devoit 30 millions et n'en doit plus que 7 ne paÿant désormais la rente que de Cette dernière somme retiendra par devers luÿ Chaque année 1150000lt qui multipliés par 7 1/2 vous rendront en effet les 7 millions restants à rembourser et même au delà: différence qui provient sans doute de ce que les Rentes n'avoient été Crées qu'à 4 pour Cent. Ce que L'auteur ne dit pas, Vous Jugerés Vous même, Monsieur, si mon objection exige que Vous redressiés publiquement la Vôtre. Le Décri des Rentes dont il s'agit les avoit portées, il est Vraÿ à un prix si disproportionné que L'on n'ose presque L'admettre Comme possible. Sous Ce point de Vue Vous pouviés, me semble, reprocher à L'auteur d'avoir mis le Cardinal en Contradiction avec luÿ même. En effet Ce Ministre qui prêche ailleurs et avec raison le maintien du Crédit public, ne devoit dans Ce principe proposer au Roÿ d'autre projet que Celuÿ de redonner à Ces Rentes Leur première Valeur, au Lieu que ne les admettant que pour le prix auquel on les Vendoit, il fait profiter son maitre le premier de la Chûte même de la Confiance ce qui ne pouvoit que la faire tomber d'avantage.

A Dieu ne plaise Monsieur que J'aÿe icÿ le dessein de m'ériger en Réformateur de nos principes, ou de nos usages, il n'ÿ a aujourd'huÿ que trop de gens qui ont Cru pouvoir se livrer publiquement sur Ce point à L'impulsion de leur zèle; Je me borne donc à Vous suplier de recevoir pour Vous seul les Réflexions que je viens de hazarder.

Je ne finiraÿ pas Cette lettre, Monsieur sans Vous dire Combien je suis affligé du dépérissement de Votre Vue; Celui qui a joui si longtems et à si juste titre de L'honneur d'Eclairer le monde devroit bien ne jamais être privé luÿ même d'aucune Espèce de lumière; mais tel est, Vous le savés, la misère du Genre humain que les grands Comme les petits, les sages Comme les ignorans, tous doivent et paÿent à la nature le même tribut; hélas, sans Ce triste sujet de Consolation que deviendroit L'Espèce, dont je suis, du Côté de la quelle est sans Contredit le plus Grand Nombre?

J'aÿ, &ca
Gamonet