Je Reçois mon très Cher intime la lettre que vous avés eü la bonté de m’écrire avec l'extrait de ce que vous a mandé Monsieur De Voltaire; j'en suis je vous le jüre pénétré, quelle différence de cette façon de penser à celle de ce monstre de Rousseau pour qui j'ay eü cinq ans de suite des bontés et des attentions dont tout le monde icÿ est instruit; il n'avoit d'autre table que la mienne, d'autre azile que chés moy; brouillé avec presque tous les honnétes gens de la ville, j'ay fait la folie de le réconcilier et d'agir avec luy avec plus de cordialité, et d'intimité que je ne l'eüsse fait pour mon frère; je l'ay vü cent et cent fois en présence de nombre de gens versser des larmes à ma table affectant d’être pénétré de tout ce qu'il me devoit, me jürant une tendresse, et une reconnoissance éternelle; il avoit fait ce même perssonnage chés moy; et selon sa louable coutüme m'avoit baisé, et ambrassé dix fois; le jour que je füs mis en prison par ses conseils, par ses insinüations, il força mes persécüteurs de me perdre, ce n’étoit nullément leur intention, ils étoint mes meilleurs amÿs, et m'ont fait dire vingt fois qu'ils n'avoint aussy mal agÿ avec moy, qu'excités par Rousseau qui les voyant roydis à ne pas me faire de peine leur fit cent impostüres, et leur conta cent indignités qu'il leur assürà que j'avois dites d'eux, auxquelles je vous jüre, et prends Dieu à témoin que je n'ay jamais songé. Je penssois si peü que ce monstre füt mon ennemÿ que lorsqu’ on vint me prendre (au moment que je m’ÿ attendois le moins, et que j'alois tranquillement me mettre dans mon lit) le voyant dans sa chambre qui fait face à la mienne j'envoyay un laquays le prier de vouloir venir un instant me parler mais quelle füt ma surprise d'aprendre qu'il avoit voulü jetter mon laquays par l'escalier, et luy dit en propres termes qu'il n'avoit rien à démêler avec un fripon tel que moy; il à continüé de parler sur ce ton, de se répandre en invectives contre moy, de vomir cent indignités à mon désavantage; Vous avés vü le compte que je luy avois envoyé, vous en avés vü la réponsse; je n'ay plus voulü me donner la peine d’ÿ r'envoyer; et j'oublie que ce scélérat soit au monde jusqu’à un temps où je me flatte de pouvoir m'en Vanger; je n’épargneray rien pour y parvénir; Si vous saviés parfaittemt tout ce que j'ay fait pour luy dont toute la ville est instruite, et que Vous sçüssiés la noirceur de son procédé, Vous frémiriés d'horreür.
L'offre obligeante de monsieur De Voltaire m'enhardit à vous proposer Une chose; et voicÿ de quoy il s'agit.
Ma famille satisfait monsr Cardoso, cellà est prest d'estre terminé, il me faudroit pour sortir d'icy Une somme de quinze à Dix huit cens florins pr satisfaire des debtes criardes à des Bourgeois de la ville qui la pluspart par bonté, et par attention pour moy n'ont fait aucüne démarche; pensés Vous que Monsieur De Voltaire à Vostre reccommandation Voulüt me l'avancer? Je luy en donnérois ma lettre à Six mois de Datte et je vous jüre que je l'acquittérois exactément; Vous sentés bien que n'ayant l'honneur de le Connoitre nÿ d'estre connü de luy; je n'osérois hazarder de luy faire une telle proposition; la générosité et la noblesse de sentimens qui règne dans ce qu'il vous mande me fait naistre cette idée, et même l'espérance qu'il voudrà peutêtre s'y prester; s'il ne le fait pas je ne luy en seray pas moins attaché, et dévoüé; je seray égallémt sensible, à l'intérêt qu'il paroit prendre à ma sitüation, et tous mes voeüx se bornéront au bonheur de le convaincre de mes vrays sentimens pour ce qui le regarde.
J'attendray de savoir là dessüs Vostre sentiment, et si vous aurés eü la bonté de luy en écrire; il est bien instruit en ce qu'il Vous mande que ce monstre à écrit à Paris; car ce sont les mêmes discours qu'il me tint lorsqu'il scüt monsieur De Voltaire à Leyde, et qu'il s'efforça de répandre par tout. Enfin je n'aurois jamais finÿ sur son chapitre; je n'en parle qu'avec transport; quoiqu'il ne soit envérité pas digne de la colère d'un honet homme.
Adieu mon très Cher intime. Aimés moy autant que je hays Rousseau; mais c'en seroit trop; réservés ces sentimens pour l'aimable personne avec laquelle monsieur De Voltaire Vous mande de boire à sa santé, et croyés moy de tout mon Coeur plus à Vous cent et cent fois qu’à Medinà.
Bruxelles ce 4e avril 1737
Je ne seray peutêtre pas toujours dans le malheur; assürés je vous prie monsieur De Voltaire que dans tous les temps rien ne me touchera jamais autant que des occasions à le servir; et luy montrer ma vive récconnoissance.