1755-01-04, de Sébastien Dupont à Marie Louise Denis.

Que vous étes bonne, Madame, de vous ressouvenir d'un homme qui n'a de méritte que celui d'admirer le vôtre.
Si la politesse vous oblige à écrire à tous ceux qui vous ont rendût cette justice il n'ÿ a pas une Dame en France qui soit plus occupée que vous. Quand on a eû le bonheur de vous voir pendant quelque tems, on voudroit vous voir toujours: est-on privé de cet avantage, on cherche à s'en indemniser par des entretiens dont vous étes le sujet: il y a bientôt deux mois que vous étes partie de Colmar, et je vous jure qu'il ne s'est pas écoulé un seul jour depuis ce tems sans que nous parlâssions de vous avec made de Klinglin: quand vous étiez à Lyon les plaisirs que vous ÿ gouttiez nous en donnoient. La voilà bien, disions nous; Dieu veüille qu'elle ÿ reste longtems. Tout à coup nous apprenons que vous étes à Prangin, dans un magnifique château sur les bords d'un beau lac: apréz avoir rendû au Donjon, au Pontlevis, aux Jardins toutte la justice qu'ils mérittent, nous considérons que vous étes seule. Nous avons beau nous représenter qu'on n'est jamais en si bonne compagnie qu'avec mr de Voltaire, qu'il tient lieu de tout, il nous vient en idée que quand il est occupé à écrire ce que nous vouderions bien lire, il seroit juste que l'aimable nièce qui sçait aussi s'occuper, se délassât, soit en faisant un tri, soit en rendant quelques visittes d'Inclination. Mais tout cela est impossible à Prangin: on ne peut pas méme s'ÿ promener, il fait trop froid. Nous concluons apréz tous ces raisonnemens que vous avez eû tort de quitter Lÿon, qu'il falloit résister surtout pendant l'hÿver, et que si l'on devoit aller à Prangin ce n'étoit que pendant l'Eté par ce qu'Enfin la sciatique du cher oncle se seroit aussi bien guérie dans une grande ville que dans un grand château. Vous jugez bien que c'est la jalousie qui nous rend si furieux contre l'Etablissement de Prangin. Nous sommes inconsolables de la préférence, parceque sans vanité nous vallons bien le concierge d'un château. Si apréz cela nous allons apprendre oû qu'il ÿ ait un convent dans le bourg, oû même un chapellain dans le château, nous voilà au désespoir: vous nous laissez cependant un raÿon d'Espérance en nous promettant vôtre retour. Mais il se dissippe bientôt, en mettant Colmar en balance avec Lyon et Dijon: il n'ÿ a guerres D'apparance que vous irez préférer notre triste Province à ces villes délicieuses; à moins que ce ne soit vôtre routte, et que vous ne préfériez les eaux de Plombières à celles d'Aix: Dieu veüille que la Lorraine puisse encore procurer à l'Alsace un bonheur dont elle n'est guerres digne.

Vous Parlerai-je de vos Caisses, de ce vilain Turckeim qui ne vous a fait aucune Réponse? Je crois qu'à ce moment, vous étes sans inquiétude et par une de mes lettres et par une de made de Klinglin, et peut-être même par l'arrivée des caisses que j'ai vû partir moi même, lundÿ dernier 30e xbre 1754 à midÿ, m'étant transporté chez le commissionnaire paresseux pour le faire hâter dans ses opérations.

Une affaire plus sérieuse que les Caisses, sans doutte, c'est celle du Duc de Wirtemberg. Cependant je ne fais rien, et il semble que j'imitte assez mr Turckeim. Mais je n'ai point d'ordre et mr Turckeim en avoit, ainsi vous voïez que je n'ai aucun tort.

Vous avez deûb voir, Madame, combien je faisois fonds sur vos bontés par deux lettres que j'ai eû la hardiesse d'Ecrire à mr de Voltaire, au sujet d'un petit poste qui vient de vacquer dans cette province et qui me convient infiniment parcequ'il rapporte 12 oû 1500lt de rente sans donner beaucoup de peine: j'implore vos bons offices à cet égard: je vous sollicitte pour que vous daigniez me recommander auprèz de mr D'Argenson oû de mr de Paulmÿ, oû Enfin auprèz de ceux qui ont quelque crédit sur l'Esprit de ces deux Majestés: la générosité de vos sentimens me fait augurer un heureux succéz; je fais cecy en cachette de mr le 1er Président et de made la 1ère présidente. Si je m'étois adressé à eux cela auroit eû l'air d'une supplique en récompense de service. J'aime beaucoup mieux devoir cette petitte fortune à des personnes qui ne m'ont aucunne obligation, voilà pourquoi je m'adresse à vous et à mr vôtre oncle: au surplus je n'ai pas besoin de cette nouvelle grâce pour augmenter les sentiments de respect, de tendresse et de reconnoissance que j'ai pour vous: ils sont à leur comble et rien ne peut plus les augmenter ni [les] Diminuer: je ne parlerai plus de la prévoté pour vous entretenir de vôtre retour. S'il est assûré faittes moi l'honneur de me le mander afin que je puisse aller au devant de vous et quoique je n'aime guerres la Suisse, je sens des élans qui me pousseront à Prangin!