1755-11-14, de Sébastien Dupont à Voltaire [François Marie Arouet].

Vôtre débitteur, cher ami, sort de chez moi.
Il m'a promis qu'il feroit honneur à vôtre lettre de change, oû du moins que son illustre frère l'acquitter[oit] pour lui: un professeur D'Allemagne, sera sans doutte plus exact et plus e[n] état qu'un libraire de Colmar; je le souhaitte. Le libraire m'a prié de vous dire que si l'argent n'étoit pas tout à fait prêt à l'Echéance, il vous païeroit les intérests. Il a de la mémoire, il sçait qu'il ÿ est obligé, Il sçait bien aussi que sans la lettre de change, j'avois Entre les mains de quoi le faire païer sans délai, lui et sa femme, mais qu'importe? vous ne l'avez pas exigé. Vôtre bonté suivt les apparances ne le protera pas à oublier vôtre pouvoir.

Pour le coup si le méme homme n'est pas absolument frippon, le Phantôme de la Pucelle parait en beau papier, et bien imprimé: il m'a juré l'avoir vû à Strasbourg. Comment, lui ai-je dit, persuaderez vous un homme qui ne croit pas les jureurs? Je le persuaderai, m'a t'il répondû, en lui présentant un Exemplaire; je l'attens, et je vous en donnerai des nouvelles: si cela est, voilà de nouveaux chagrins. Je n'oublierai jamais ceux que l'histoire universelle vous a causés. Je me consôle en Espérant que Vous sçaurez confondre l'Editeur de Jeanne D' Arc comme Jean Néaulme; mais si vous faites un procèz verbal, je serai inconsolable de n'ÿ avoir pas assisté.

Ces tracasseries étouffent bien des talens: quand sera-t'il permis en France de penser et d'Ecrire ce que l'on pense: si cela vous a été refusé, à qui le permettra-t'on? Allons aux Indes co͞e Gama, nous ÿ trouverons un Roi de Melinde….Je sens que je vais tomber dans les Réflexions. Elles sont tristes, ainsi je m'en abstiendrai pour vous dire que vous n'avez point D'ami qui sera plus gai que moi quand je sçaurai que vous avez de la santé et de la tranquillité.

Ah Madame Denis si je quitte ces côtes de Barbarie pour aller aux Indes, souffrez que malgré vent et marée, j'Entretienne le Cher Onc[le] de [?vous] de vôtre méritte et de mes regrets!