Ce n'est qu'en tremblant que je profitte de la liberté que vous m'avez donnée de faire des Réflexions sur un ouvrage que j'admire.
Je vous désobéïrai, si je ne faisois que mettre sous vos ÿeux les beaux endroits qui m'ont frappé. Outre que j'aurois été obligé de copier touttes les pages, quel plaisir auriez vous d'un suffrage comme le mien? C'est celui de l'univers qu'il vous faut, l'Impression vous l'assûrera.
J'abandonne donc les sentimens d'admiration, oû plutôt je les suspens, pour vous faire part de quelques douttes qui se sont élevés dans mon esprit à mesure que j'ai lû vôtre manuscrit:
Chap. 1er, page 2.
‘Qui peut sçavoir ce qui seroit arrivé, si la méme tête eût porté la Couronne impérialle et la tiare? le sistème &ca’.
Oserois-je hazarder que cette Réflexion fait présumer que vous pensez que le projet de Maximilien n'étoit point insensé puisque vous semblez dire que cet événement auroit changé le système de l'Europe: Si vous jugiez de ce projet bisarre par son objet, plutôt que par l'Evénement, je suis sûr que vôtre Réflexion feroit plus de plaisir.
idem. ad paginam 258:
Les Suisses aimèrent mieux se vendre aux Français que de se battre contre eux.
Cette pensée fera de la peine aux Suisses: vous ne sçauriez croire combien cette nation qui vous admire a été offensée de ce vers de la Henriade: Gens qui vendent &ca. Faittes lui un sacrifice de votre jugement sur son commerce: ce peuple le mérite en faveur de l'estime qu'il a pour vous: excusez ma hardiesse. Je voudrois que vous forças: les Suisses à vous aimer, co͞e ils vous admirent.
ad paginam 269, 270.
L'argent de la Grille de Tours plus nécessaire à l'Etat qu'à St Martin: la justice à l'Encan par la vente de vingt charges de Conseilliers, sont des pensées vraies et frappantes.
Je ne puis m'empêcher de vous le dire, il faudroit que les prêtres et les juges n'eûssent pas le sens commun pour s'offenser d'une réflexion aussi juste et aussi vraie.
A l'Entrevüe de Charles V et de François 1er .
Cette Entrevüe ménagée par le Pape devoit se faire à Nice: elle ne s'ÿ fit point. Vous dittes que Charles V descendit à terre et fit la première Visitte. Le père Daniel dit que Charles V aïant été obligé par un vent Contraire de relâcher à l'Isle Ste Margueritte, envoïa de là à Avignon oû le Roi étoit alors un gentilhomme pour le salüer de sa part, et lui témoigner le désir qu'il avoit de le voir. Le Roi répondit à cette Civilité, Et se rendit au lieu que l'Empereur avoit proposé: Si ce récit est vrai, c'est François 1er qui a fait la visitte, puisqu'il est venû trouver Charles V.
Le Président Henault place le lieu d'Entrevüe prèz D'Avignon; il faut qu'il se trompe car Aigues morte en est un peu éloigné, et il est très certain co͞e vous le dittes que l'Entrevüe s'est faitte à Aigues morte:
Oserois-je vous représenter que la maladie étrange dont Brantome, Mezerai et Varillas font mourir François 1er , est un fait dont tous les historiens ne conviennent pas: L'histoire de la belle Ferroniere n'est pas trop sûre. Car ne pourroit on pas vous imputter que vous affectez de choisir les sentimens des historiens les moins favorables à un Roi qui est aimé en France à cause des belles lettres, qu'on ÿ connoitrai guerres aujourd'hui sans vous?
Je me souviens de vous avoir vû soutenir l'innocence d'un Evêque D'Allemagne que Gualtieri accusoit d'être mort de la maladie dont il s'agit.
Un anacronisme évident a confondu Gualtieri: que ne confondez vous par quelqu'autre Endroit ces vilains historiens qui gâtent et le corps et la mémoire d'un Roi qui valloit mieux que tous les Evêques d'Allemagne: je vous demande cette grâce pour lui: il vous auroit bien aimé si vous aviez vécû de son tems.
Cap. 33:
Au sujet de l'Inquisition d'Espagne. Vous dittes que l'Inquisition fit Brûler le Cadavre de Constantin Ponce, Confesseur de Charles Quint.
Il me semble avoir lû que Ponce étant mort dans les prisons du St office, L'Inquisition fit brûler un fantôme qui représentoit le deffunct et non pas son Cadavre. L'abbé de Vertot le dit formellemt dans son Dom Carlos page 373.
Cacalla fut brûlé vif. Il étoit prédicateur de Charles V. Cette horreur ne mérittoit-elle pas d'être rapportée?
Au sujet de l'Expédition de Cabrieres et de Merindol.
Vous dittes que l'arrêt portoit seulement la mort de 19 hérétiques. Il portoit aussi que touttes les maisons de Merindol seroient razées, les Châteaux démolis, les bois coupés.
Ce fut la Dame de Cantal qui demanda justice à François 1er qui en mourrant recommanda à son fils de la lui rendre, et non pas les seigneurs des Villages ruinés.
Vous dittes que le Père Maimbourg appelle Guerin avocat des parties. Dans mon Edition il dit en propres termes qu'il étoit avocat général.
Le Portrait d'Ignace de Loyola m'a fait plaisir. En fera-t'il au père de Menou?
L'histoire de l'ordre de l'oratoire placée à côté de celle des Jésuittes, jette des couleurs variées qui font un contraste agréable dans le Tableau.
Voilà les observa͞ons d'un sot sur l'ouvrage d'un homme d'Esprit. Vous ne pouvez excuser ma hardiesse qu'en faveur du motif qui l'a fait naitre. Votre histoire a la propriété du Diamant, elle est claire et solide. Je souhaitte que la vérité que vous ÿ peignez n'excitte pas un nouvel orage sur une tête qui m'est si chère: la sagesse et la modération dont elle est écritte doit vous tranquilliser.