1757-02-15, de Sébastien Dupont à Voltaire [François Marie Arouet].

Voici le tems des fleurs, Mon Cher ami: vous en aurez dans vos Jardins.
Elles seront moins variées et moins durables que celles qui sont dans vos écrits, mais vous en joüirez avec des sages tandis que je soupirerai ici, non pas parceque je suis dans le sein de la Barbarie, mais parceque je suis éloigné de vous. J'aurois les mêmes regrets à Paris si vous n'ÿ étiez pas. Que de changemens, que D'événemens dans cette grande ville et partout. Voilà bien de la Matière pour l'histoire et pour la Philosophie: joüissons de touttes ces scènes diverses, amusons nous en co͞e on s'amuse des Scènes Tragiques, et félicitons nous de n'être que spectateurs tranquilles dans une agitation pareille.

Crammer m'a fait présent de la Nouvelle Edition. Quel dommage que de si belles choses soient imprimées sur du mauvais papier: ma femme est devenüe folle de Zadig; elle voudroit que j'eûsse des visions co͞e le grand Babouc, à ce prix elle me promet de ne me point Couper le Nez, mais je sens bien qu'il faut me résoudre à l'opération, Et j'aurai l'honneur de servir de supplément aux Voyages de Scarmentado, car il laisse le lecteur avide sur les événemens du plus doux état de la vie.

Je ne vous en dirai pas davantage, Mon Cher ami; quand on est pédant par Etat, il est bien difficile de n'être pas ennuieux. Les professions Gâtent les plus belles natures; quiconque est né sans génie et qui fait un métier qui exclût toutte délicatesse, ne doit écrire à ses amis que pour leur faire sçavoir qu'il les aime, je vous le dis et je me tais.

Je proteste à Made Denys qu'elle est aimée, souhaittée et regrettée ici: certainement elle ne s'en soucie guerre; mais on se soucie beaucoup qu'elle sçache les sentimens que son apparition a excittés.