1755-01-14, de Sébastien Dupont à Voltaire [François Marie Arouet].

Ma foi, Monsieur, je suis honteux des peines que je vous donne: si je vous eûsse demandé l'Immortalité, ce présent vous auroit moins coutté que ma Prévôté: vous avez daigné écrire au Confesseur du Roi, je ne me serois jamais avisé de cet expédient, c'est intéresser le Diable en ma faveur, car un Confesseur du Roi est un Diable en intrigue, il en a tout le tems.
Je fais cependant plus de fond sur la robe rouge que sur le manteau noir, et je compte plus sur le Président de la Marche que sur le Jésuitte. L'un vous sourira par goût et l'autre par Politique, à moins que vous n'aïez promis vôtre pratique au Révérend père. En ce cas, l'amour propre le fera trotter d'Importance, car il sçait bien qu'il ÿ auroit plus de gloire à être vôtre Confesseur que celui du Roi.

Vous craignez que deux cent loüis donnés à une Dame de Paris ne rompent touttes vos mesures. L'amitié est prévoïante. Eh bien! s'il le faut je les donnerai, et qui plus est je ferai tout ce que la Dame Voudra. Est-ce qu'un Prévôt de Munster seroit moins écoutté sur le chapitre de la Galanterie, que l'abbé du lieu?

Vous étes modeste en tout, dans les affaires aussi bien que dans les belles lettres, et vous n'estimez pas vôtre intercession autant qu'elle vaut. Le voisin de Ripaille me feroit Cardinal, s'il l'avoit entrepris. Il a été un tems que ce séjour vous auroit vallû la Papauté, voilà ce que c'est que de n'être pas né quelques siécles plutôt. Voïez ce que vôtre existence vous coutte. Au surplus vous n'ÿ perdez que cela, car je connois des ouvrages pour lesquels on a et le respect qu'inspire l'ancienneté et l'ardeur que donne la nouveauté. N'allez donc pas vous fâcher d'être né tard. La réputation de Virgile et de Tite Live, vaut mieux que tous les bruits qu'ont fait et que feront les Papes présents, passés et futurs.

Ce Mandrin a des ailes, il a la vitesse de la lumière. Vous dittes qu'il est à vôtre porte, on l'a vû aux nôtres dans le même tems. Mr de Mon Conseil est nommé gn͞al contre lui. Il est parti avant hier pour le Combat et je vous manderai le succez de la bataille, si l'on en vient aux mains. En attendant touttes les caisses des receveurs des Domaines sont réfugiées à Strasbourg. Mandrin fait trembler les suppôts du fisc, c'est un torrent, c'est une grêle qui ravage les moissons dorées de la ferme. Le peuple aime ce Mandrin à la fureur. Il s'intéresse pour celui qui mange les mangeurs de gens. Je vous entretiens de Babiole, et je vous distrais de vos beaux ouvrages. Ç’a toujours été mon lot. Je ne me défais pas de ma mauvaise coutume, ni vous de vos belles habitudes, l'humanité et la patience.