à Prangin 7 janvier 1755
Vous faites très-bien, Monsieur, de ne point venir à Prangin, où il n'y a à présent que du froid et du vent.
Je commence à vous être attaché de façon à préférer votre bien-être à mon plaisir. Je vais faire mes éfforts, tout malade que je suis, pour me rapprocher de vous, et pour jouir de votre présence réelle. J'ai déjà conclu pour Morion sans l'avoir vu, et je me flatte que Mr de Gis ne signera de marché qu'avec moi. J'irai voir Morion dès que je serai quitte de trois ou quatre rhumatismes qui m'empêchent de vous écrire de ma main. Il faut bien voir par bienséance la maison qu'on achète; mais vous sentez que vous et Madame de Brenles, vous êtes le véritable objet de mon voïage. J'ai grande impatience de venir achéver de vivre avec des philosophes.
Je reçois dans ce moment une lettre de Mgr l'Electeur Palatin, qui me parait philosophe aussi. Il me mande qu'il a été sur le point de mourir: il veut que je vienne le voir incéssamment; mais je vous jure que vous aurez la préférence.
Je reçois aussi une lettre de notre ami Dupont qui veut avoir la Prévôté de la petite ville de Munster auprès de Colmar, et qui s'imagine que j'aurai le crédit de la lui faire obtenir: je n'aurais pas celui d'obtenir une place de baleïeur d'église. Cependant il faut tout tenter pour ses amis, et l'amitié doit être téméraire.
Made Goll ne m'écrit point: je voudrais qu'elle vint partager à Morion la possession des prez, des vignes, des pigeons, et des poules dont j'espère être propriétaire. Puis-je vous supplier, Monsieur, de vouloir bien présenter mes respects à Monsieur le Baillif et à Monsieur le Bourguemaistre? Ma gardemalade vous fait ainsi qu'à Madame de Brenles les plus sincères compliments.
J'ose me regarder comme votre ami. Point de cérémonies pour les gens qui aiment.
V.